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Ph. Torrens livre ici le quatrième tome de l’édition des Guerres civiles d’Appien dans la collection La Roue à Livres des Belles-Lettres, consacré au livre IV, qui couvre la période allant de la formation du second triumvirat en novembre 43 à la défaite des Républicains à Philippes en octobre 42 av. J.‑C. D’emblée force est de constater que l’édition a notablement évolué depuis la parution du premier volume en 1993, qui comportait de nombreuses imperfections. L’ambition de Ph. Torrens est d’offrir un texte exploitable par tout non‑spécialiste des historiens grecs de Rome et de la période, et il y parvient remarquablement. L’ample introduction est particulièrement bienvenue : elle replace le livre IV dans l’économie générale du récit et dégage sa singularité, tout en mettant en lumière les intentions de l’historien, et les infléchissements de la narration qui en découlent. Elle consacre également d’utiles développements aux délicats problèmes historiques que pose le livre IV, notamment les mouvements de troupes aux abords de Philippes : l’auteur s’appuie sur les résultats des travaux les plus récents sur la région pour établir avec fermeté le trajet des armées et le déroulement des opérations, démontrant les erreurs d’Appien, qui pour être la source la plus détaillée n’en est pas pour autant toujours la plus exacte — il commet par exemple l’erreur d’ignorer la présence du Symbolon, prolongement du Pangée. La traduction est à la fois précise et élégante, sans esquiver les ambiguïtés ou les difficultés du texte, qui font l’objet de précisions dans les notes. L’une des difficultés concerne précisément la traduction du vocabulaire employé par l’historien grec pour désigner des réalités politiques et institutionnelles romaines ; Ph. Torrens a pris soin de préciser les principes de sa traduction dans l’Introduction, indiquant son souci de respecter autant que possible le style d’Appien, très soigné, incluant divers procédés de style, échos verbaux, formules concentrées, répétitions. Une remarque pourtant concernant le délicat terme d’autocrator, récurrent dans le livre IV, mais appliqué à des personnages aux statuts aussi divers que Sylla, César ou Lépide : la traduction opte pour une formule assez générique dans un cas : « maître du pouvoir » s’agissant de Sylla, puis pour un latinisme qui paraît justifié dans le cas de César, « imperator » ; en revanche ce latinisme est moins satisfaisant quand il s’applique à Lépide en 37, 155, et à sa qualité de triumvir ; enfin on retrouve le terme appliqué à César, traduit d’une façon de nouveau générique, mais nous semble-t-il trop faible s’agissant du contexte de l’année 44, « détenteur du pouvoir ». Par endroits, la traduction opte pour une formulation élégante mais qui infléchit légèrement le sens du texte : en 50, 215, la traduction inverse l’ordre des termes, masquant la causalité «Lépide, l’homme fort que César avait rendu à sa condition de simple citoyen » au lieu de « Lépide, redevenu simple citoyen du fait de César après avoir été puissant » ; 70, 297, Cassius insiste dans son discours aux Rhodiens sur la légalité de sa position : la traduction « en tant que Romain, commandant romain » me semble affaiblir le texte, qui dit : « commandant de Romains » rappelant que non seulement Cassius est citoyen romain, mais les troupes qu’il dirige également ; le fait que plus loin Appien utilise, à propos de Cassius, la même expression confirme l’importance symbolique attribuée à la nature des troupes sous les ordres du chef républicain (98, 410).
Quant aux notes, elles répondent aux principes de cette collection en donnant les informations utiles à la compréhension du texte, tandis que la bibliographie, renvoyée en fin de volume pour ne pas alourdir les notes, offre des possibilités de lecture complémentaire ou de vérification ponctuelle. Quelques remarques néanmoins : chap. V, note 1 : le commentaire s’étonne qu’Appien passe du récit de la proscription d’hommes adultes à celui des cas d’orphelins, alors qu’il s’agit pour Appien au contraire d’un choix permettant de souligner la finalité économique de la mesure prise par les triumvirs ; chap XV, 113, 475 : la date de la 1e bataille de Philippes n’est pas rappelée en note (pas plus qu’en 115, 479), alors qu’elle fait l’objet d’une attention particulière de la part d’Appien, qui souligne la coïncidence avec l’anniversaire de Cassius, ce qui n’est pas commenté.
Notons pour finir que le soin apporté à cette édition est remarquable et les coquilles ou erreurs minimes ; signalons toutefois que les notes du chapitre VIII sont décalées à partir de la note 2, qui correspond en réalité à la note 3 du texte ; que les références à Dion Cassius sont à corriger en deux endroits (chap I, n. 24 : D.C. 47, 56, 2 au lieu de 46, 56, 2 ; chap II, n. 30 : D.C. 47, 6, 3 au lieu de 47, 6, 4) ; ou encore qu’en 117, 493, il subsiste une coquille : « ils manquent de vivres, dont ils ne trouvent qu’à prix d’or ».
Les remarques ci-dessus n’ôtent, comme on le voit, rien à la qualité de cette édition qui constitue un instrument de travail appréciable et d’une grande fiabilité.

Estelle Bertrand