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Le parti pris du livre était de faire le point sur les nombreuses publications qui ont paru ces dernières années et qui ont renouvelé l’approche d’Ausone. L’ouvrage est constitué de 24 articles, 20 d’entre eux consacrés à une œuvre particulière du poète et 4 autres à l’influence d’Ausone.

Luca Mondin examine le savoir grammatical dont fait montre le poète, non pas en tant que catalogue d’éléments d’érudition mais comme composante et objet du texte et du discours poétique. Il montre notamment comment la voix auctoriale met régulièrement en scène, en dehors des passages, métadiégétiques ou de glose sémantique, la persona du grammairien, dans la variété de ses acceptions.

Étienne Wolff s’attache à étudier les jeux de mots chez Ausone, jeux qui émaillent l’œuvre et se cachent dans des détails infimes, mais l’auteur ne s’attarde pas particulièrement sur les épigrammes où ils sont attendus, il étudie le reste du corpus en prenant quelques exemples bien développés où il démontre l’habileté du poète particulièrement dans le recours aux noms propres.

Alfredo Morelli s’interroge sur les liens entre Catulle et Ausone, liens qui ont été peu étudiés, alors qu’ils existent, ainsi que le montre l’auteur de manière convaincante. On le voit avec l’étude de la praef. 4 qui renvoie très précisément à l’incipit catullien. Au-delà de la valeur d’exemplarité et d’hommage littéraire, Ausone sélectionne les motifs de son prédécesseur pour en proposer une relecture, parfois à rebours, comme dans les vers 89-90 du Centon nuptial où Ausone inverse le sens de la référence virgilienne (apostrophe d’adieu de Créuse à Énée) par l’emprunt catullien qui permet de transformer la scène en incitation à profiter du bonheur conjugal.

Bernard Lançon aborde la thématique médicale dans l’œuvre ausonienne, issu d’un milieu de médecins, le poète connaît la discipline pour laquelle il éprouve une certaine admiration. S’il se livre, dans l’épigramme, à une satire des faux et mauvais médecins, s’il fustige les imposteurs de l’art, il considère toutefois la médecine comme une discipline philosophique faisant partie de la culture rhétorique. L’analyse met en évidence cette approche par le contexte culturel, notamment chrétien où la valeur évangélique du soin vient renforcer le serment d’Hippocrate.

Vincenzo Messana s’intéresse à l’image de la Sicile chez Ausone, il note que le motif est peu présent chez le Bordelais, à la différence de son quasi-contemporain Claudien. Il éclaire le sens d’une expression qui aura une certaine postérité, celle de siculum litus qui rejoint l’image fantasmée de la Sicile dans l’Antiquité tardive.

Franz Dolveck, dans la continuité de sa thèse, aborde un point complexe et délicat, celui de la tradition des œuvres grecques d’Ausone, notamment dans la collection Z qui transmet seule la totalité des œuvres grecques. L’article montre comment ces dernières ont été traitées, le grec ayant parfois été omis, parfois à la place d’un syntagme a été laissé un blanc, dans l’idée peut-être de le recopier plus tard, bref la graphie grecque constitue un élément embarrassant. Pour illustrer son propos, l’auteur examine certains textes où les lettres grecques ont été recopiées mais sans être comprises ainsi que les cas où la limite entre latin et grec n’est pas claire et où les lettres se ressemblent. La démonstration s’avère très utile pour l’étude littéraire des textes choisis ; toutefois on peut regretter l’absence d’une synthèse conclusive.

J.P. Caillet examine le paysage monumental décrit dans la Moselle, entre établissements militaires, complexes résidentiels et villae. Si les informations que donne Ausone sont poétisées, elles correspondent toutefois à une réalité que l’archéologie a confirmée. Pourtant, on note le silence d’Ausone sur un certain nombre de points qui n’entrent pas dans le projet poétique de la Moselle . Ainsi le poète ne prête aucune attention aux signes de fortification et de protection qui traduisent l’inquiétude et la peur devant la récurrence des invasions, ni au le complexe cathédral chrétien de Trèves, notamment les deux immenses basiliques et le baptistère, se démarquant ainsi radicalement de Paulin par exemple qui en propose une description détaillée. Ce constat des silences d’Ausone interroge non pas tant sa foi chrétienne que l’absence de volonté prosélyte.

Martin Bažil s’intéresse aux paratextes du Cento Nuptialis, et notamment la lettre d’introduction dont il montre qu’elle entre dans une configuration intertextuelle triangulaire, un hypertexte issu de deux hypotextes, Virgile bien sûr et un texte grec, attribué à Hippolyte de Rome figurant dans la Réfutation de toutes les hérésies. Par ailleurs M. B analyse les allusions au centon de Proba qui émaillent le texte ausonien comme la volonté de montrer au lecteur que la poétesse a fait l’objet d’une stratégie herméneutique erronée et c’est cette même erreur interprétative que reproduisent les détracteurs d’Ausone à propos du Centon, qui ne peuvent se retenir, en lisant ces vers, de faire des associations érotiques.

Charles Guittard relève dans l’œuvre d’Ausone les éléments relevant de l’histoire du calendrier et souligne l’insistance sur le maintien de fêtes païennes, notamment celles des Saturnales qui constituent un motif récurrent à la mesure de leur importance dans la vie de la société romaine. Le relevé des textes est convaincant mais on aurait pu en attendre une analyse plus systématique qui aurait permis d’en montrer la spécificité.

Deux articles analysent la Gratiarum Actio, celui de Benjamin Goldlust et d’Andrea Balbo et montrent comment Ausone sous couvert de prononcer l’éloge de Gratien procède, par le jeu des techniques argumentatives remarquablement bien étudiées, à une auto-célébration et transforme un genre littéraire sacré dans l’Antiquité en monument à sa propre gloire et à sa propre culture.

Le poème consacré à Bissula est étudié par Giovanni Scafoglio, Silvia Mattiacci et Marc Thomalla. GS fait le point sur les interprétations précédentes de ce recueil (et notamment les lectures « érotiques ») pour montrer qu’elles ne sont pas satisfaisantes dans la mesure où elles ne tiennent pas compte de la donnée essentielle de ce poème, à savoir la double identité de Bissula qui se transforme par l’apprentissage de la langue latine. S Mattiacci s’intéresse aux nombreux échos de Catulle et de Martial qui font de la jeune suève une ambigua puella et à la manière dont Ausone fait la synthèse entre la topique élégiaque et la topique d’intégration. MThomalla évoque l’environnement féminin du poète qui contribue à construire l’image de Bissula, il analyse à la fois le profond enracinement de l’œuvre dans le monde celtique et leur rôle dans la relation à Bissula, montrant que, par sa double identité et par son statut libre, la jeune suève permet au poète de clore son propre itinéraire, du monde celtique au monde romain.

L’article de Camille Bonan-Garçon se concentre sur les jeux de mots dans la correspondance du Bordelais, affichant la nouveauté de la démarche puisque l’auteur considère qu’il n’y a pas de synthèse portant sur l’humour et ses enjeux . Pour partie cela est vrai mais une meilleure connaissance de la bibliographie aurait dû atténuer cette affirmation. L’auteur commence par essayer de définir l’humour d’Ausone et le corpus dans lequel il s’exerce, pour restreindre son travail à la correspondance. On notera que CBG, étrangement, exclut de la Moselle, toute forme d’humour et prend comme référents, pour le Cento Nuptialis, deux articles, certes importants mais déjà datés, sans rien mentionner des travaux de M. Bažil, contributeur de cet ouvrage, dont la démarche est éclairante pour le sujet choisi. Toutefois, malgré ces points, l’étude détaillée de la lettre 13 à Théon est convaincante ainsi que l’explication des jeux de mots sur le nom même du destinataires, jeux de mots que reprend, de manière plus systématique Étienne Wolff dans son article sur Ausone traducteur du grec. EW montre comment Ausone puise à de nombreuses sources grecques et utilise une matière polymorphe qu’il transforme en matériau humoristique, il souligne également le jeu de virtuosité et de miroir dans quelques épigrammes inspirées de l’AP où le poète se met en scène comme traducteur du latin en grec .

L’étude de Sara Fascione porte sur l’insertion de l’hymne en dimètres iambiques dans les Epistulae d’Ausone, qu’il définit comme volucripes dimetria et sur le traitement ingénieux et déroutant qu’en fait le poète.

Lucia Floridi cherche à mettre en lumière le lien d’inspiration qui pourrait relier deux épigrammes de Palladas et les épigrammes 50 et 52 d’Ausone sur le rhéteur Rufin. Pour cela, elle analyse quasi mot par mot les emprunts possibles, notamment avec l’éclairage du papyrus de Yale pour conclure qu’il n’y a pas de contacts étroits qui puissent témoigner d’une connaissance directe par Ausone de Palladas.

Dans le sillon des études menées par C. Chin, Daniel Vallat aborde les recueils épitaphiques d’Ausone sous un angle peu travaillé par la critique et propose une autre lecture que celle habituellement centrée sur la poétique de la liste. Pour cela, D Vallat s’attache à l’étude des courtes préfaces de chacun des recueils dont rien ne dit qu’ils ont été écrits successivement. L’auteur démontre, à partir des structures dynamiques qui animent les poèmes, que ces trois textes ne constituent pas une suite mais sont construits pour partie de manière circulaire avec comme centre de gravité les Professeurs, ce recueil constituant le point de bascule de la recréation générique entre souvenirs réels et fiction littéraire. La lecture que propose D. Vallat, très stimulante, est probablement l’une des plus intéressantes de ces dernières années par l’architecture des recueils qu’elle souligne et la mise en lumière de leurs éléments de poétique.

Florian Lepetit s’intéresse à un recueil peu connu d’Ausone, les Caesares et spécifiquement à la place de Néron dans cet ouvrage. Ausone fait de Néron le contre-modèle du bon empereur qui est, en l’espèce, incarné par Gratien.

La troisième partie traite de l’influence d’Ausone, Francesca Nocchi examine les points de contact lexicaux et thématiques entre l’Epicède ausonien et la série 5-9 des épigrammes de Bobbio et le cycle de Naucellius.

Luciana Furbetta examine les traces de la présence d’Ausone dans les panégyriques en l’honneur d’Avitus et de Marjorien, ainsi que l’éloge d’Anthémius, écrits par Sidoine Apollinaire, alors que, traditionnellement, c’est la médiation de Claudien qui est privilégiée. LF passe en revue de manière très rigoureuse tous les types d’emprunts, depuis la réminiscence en filigrane à l’emprunt textuel incontestable comme c’est le cas pour la partie relative à la formation d’Anthémius qui introduit un catalogue des 7 sages, directement inspiré des vers 52-70 du Ludus ausonien. L’auteur note qu’au fil des 3 panégyriques, les modalités d’exploitation du modèle ausonien changent, selon le contexte de composition de ces textes.

L’article de Marisa Squillante vient, en quelque sorte, développer les analyses de LF sur le plan du ludus poétique et montre comment, en s’inspirant particulièrement du Protrepticus, Sidoine reprend les images ausoniennes du jeu poétique comme acte de résistance à la domination des barbares.

Gaëlle Viard, étudie les rapports qu’entretiennent les poèmes mosellans de Venance Fortunat (10, 9) et d’Ausone, en réaffirmant à juste titre, en préambule, que rien n’assure que Venance connaissait le poème ausonien mais que, pour autant, il serait difficile de penser qu’il n’y ait absolument pas eu accès. Les rapports entre les deux textes sont abordés sous l’angle de la dialectique entre l’Ancien et le Nouveau, qui traverse l’œuvre de Fortunat. Après avoir confronté les structures des deux poèmes, G. Viard étudie les analogies thématiques autour de 4 points essentiels, le voyage, la vigne, la pêche, les villas ainsi que, pour partie, la dimension métapoétique de chacun des poèmes. Les ressemblances s’arrêtent là parce que nos deux poètes ont des visions du monde très différentes, la poétique de Fortunat est résolument chrétienne, elle a fait disparaître nymphes et autres divinités de la Moselle ausonienne pour leur substituer l’image musicale de David, le psalmiste et faire l’apologie de la capacité de la musique à rendre l’harmonie de la création. La démonstration de la lecture que fait le poète mérovingien de l’œuvre du Bordelais est très nourrie et incite à une approche plus attentive des poèmes de Fortunat.

L’ouvrage, par la variété des thèmes approchés, par les problématiques soulevées, remplit, pour l’essentiel, les objectifs que le titre avait fixés et, en témoignant d’un tournant dans l’approche d’Ausone, permettra sans nul doute d’ouvrir d’autres champs d’études.

Florence Garambois-Vasquez, Hisoma (UMR 5189), Université Jean Monnet Saint-Étienne

Publié en ligne le 5 décembre 2019