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Paru pour la première fois en 2008, le Guide de l’Antiquité imaginaire de Claude Aziza réédité en 2016 propose un panorama réactualisé des productions à sujet antique dans trois domaines : le roman, le cinéma et la bande dessinée. C’est donc logiquement avec trois parties consacrées à ces médias que commence l’ouvrage, tandis que les parties 4 à 8 offrent ensuite des synthèses thématiques croisant les supports. De fait, les trois premières parties sont construites de manière analogue et gagnent à être lues l’une après l’autre tandis que les suivantes, plus fidèles à l’idée d’un « guide », sont autonomes.

Trois médias, pour commencer, correspondent à trois moments de la création : « l’âge d’or du roman historique » (p. 23-76) appartient surtout à la fin du xixe siècle, « le siècle du cinéma » (p. 77-128) serait un large xxe siècle, et, enfin, « l’avènement de la bande dessinée » (p. 129-177) ne débute réellement qu’à partir des années 50.

À l’intérieur des périodes ainsi isolées, chaque chapitre met en avant une œuvre majeure marquant un tournant de la création. Pour le roman, c’est d’abord, en 1809, Chateaubriand et ses Martyrs, associés à « l’Antiquité souffrante » ; ce sont ensuite Les Derniers Jours de Pompéi de E. Bulwer-Lytton (1834) qui, dans la veine de W. Scott, tente de redonner vie à une Antiquité récemment redécouverte sous les cendres du Vésuve ; puis, sans tous les citer, viendront Le Roman de la momie de Th. Gautier (1857), qui ouvre la voie vers d’autres horizons, suivi du Salammbô de G. Flaubert (1862), puis des titres dont la célébrité tient autant – si ce n’est plus – de leurs adaptations cinématographiques que de leur version originale sur papier, tels Ben Hur de L. Wallace (1880) et Quo Vadis ? de H. Sienkiewicz (1895-1896). Cet âge d’or pourrait s’arrêter au tournant du xxe siècle s’il ne fallait citer, pour finir, deux livres publiés la même année, au milieu du siècle : Spartacus de H. Fast et Les Mémoires d’Hadrien de M. Yourcenar (1951).

Suivant la même construction, le Guide de l’Antiquité imaginaire offre ensuite un panorama de la production cinématographique à partir de neuf films majeurs. Il commence avec le tout premier film antique, Néron essayant des poisons sur un esclave (1896), une production Lumière de G. Hatot de moins d’une minute, puis continue avec le cinéma italien nationaliste, avec Cabiria de G. Pastrone en 1913-1914 et la création des studios de Cinecittà en 1937. Les années 50 sont quant à elles marquées par des superproductions à sujet biblique avec d’abord, en 1949, Samson et Dalida de C. B. DeMille puis, en 1951, le Quo Vadis ? de M. Le Roy, ou encore le Spartacus de S. Kubrick en 1960. Les années 60 correspondent à un second âge d’or du film à l’antique, celui d’une « Antiquité olympique » (p. 107) qui débute avec Les Travaux d’Hercule de P. Francisci en 1957 et dont S. Reeves reste l’incarnation parfaite. L’Antiquité romaine est peu représentée dans cette veine héroïque mais elle sert une « Antiquité politique » qui court des années 60 aux années 80. De cette veine, Cl. Aziza retient surtout l’année 1963 avec deux productions majeures : La Chute de l’Empire romain d’A. Mann et la Cléopâtre de J. Mankiewicz. « À la fin des années 1980, le film à l’antique était définitivement mort » (p. 122) et pouvait donc devenir un objet d’études. Mais c’était sans compter sa renaissance, en juin 2000, sous la direction de R. Scott avec la sortie de Gladiator, bientôt suivi par une vogue de « néo-péplums » marquée surtout par la recherche du spectaculaire qui caractérise encore les productions les plus récentes.

Le dernier panorama proposé concerne la bande dessinée à sujet antique qui apparaît avec Alix, la série créée par J. Martin en 1948 et récemment reprise par différents scénaristes et dessinateurs. Ce que montre ce panorama, plus encore que les deux précédents, c’est une succession de modes mettant à l’honneur un espace géographique et un imaginaire lui correspondant. On passe ainsi d’un monde gallo-romain surreprésenté, dans la veine d’Alix mais aussi d’Astérix dont les premières aventures sont publiées en 1959, à l’Afrique romaine à travers le personnage de Jugurtha qui apparaît en 1967 dans le journal Tintin (J.‑L. Vernal et Hermann puis F. Drappier) – c’est le moment de gloire des ennemis de Rome – puis à l’Égypte avec, en 1974, la création de Papyrus créé par L. De Gieter, première série d’une mode extrêmement prolixe. Nous passons ensuite au Proche-Orient pour suivre les représentations de la Bible en BD, dont les plus importants représentants appartiennent à la fin des années 70. La place de la Grèce antique dans la production BD est plus complexe et fait l’objet de deux chapitres : le premier, « 1985 : de l’Olympe à l’Acropole » (chapitre 6, p. 157‑163) souligne surtout à quel point, dans la BD comme dans le cinéma, la Grèce historique est délaissée au profit de personnages mythiques. Le second, qui termine la partie, est une nouveauté de cette édition explicitement intitulée « 2016 : la revanche de la Grèce » (chapitre 8, p. 177) : la Grèce historique inspire enfin les auteurs de BD et vient remettre en cause la suprématie de Rome qui, notamment après le lancement de la série Murena en 1997 par J. Dufaux et Ph. Delaby, semblait incontestée dans les années 2000 (voir le chapitre 7).

Le second moment de l’ouvrage est constitué d’un catalogue raisonné et largement commenté de plus de 900 titres, classés thématiquement. Croisant les supports, il permet de décloisonner des approches souvent focalisées sur un genre et de chercher les grandes lignes de la formation des imaginaires antiques ou, au contraire, de souligner l’originalité d’un média sur un thème précis. C’est dans ces cinq dernières parties que le terme de « guide », choisi pour titre à l’ouvrage, prend vraiment tout son sens.

À chaque thème correspondent une liste de titres classés par genre et quelques pages de commentaires qui se focalisent tantôt sur une œuvre, tantôt sur un événement ou un personnage, offrant à chaque fois une réflexion originale sur le traitement du thème. On commence ainsi avec les lieux imaginaires (quatrième partie, « De l’Atlantide à l’Olympe ») où l’on trouve successivement une synthèse sur le mythe de l’Atlantide, des extraits d’un livre de H. Hawks sur le tournage de La Terre des pharaons sorti en 1955, une réflexion sur le roman d’espionnage dans le chapitre dédié à la Bible, ou encore un paragraphe sur le personnage de Maciste, direct héritier des héros de la mythologie grecque. La Grèce historique fait l’objet d’une cinquième partie plus courte, à l’image de la plus faible production sur le sujet, et finit par un paragraphe sur la figure de Cléopâtre dans la publicité, ouverture réussie de cette nouvelle édition à d’autres médias de l’audiovisuel. C’est sur les représentations de Rome que concluait la précédente édition, avec deux parties chronologiques consacrées à la Rome royale et républicaine (Sixième partie : « De Romulus à Auguste », p. 241-266) puis à la Rome impériale (Septième partie : « D’Auguste à Romulus Augustule », p. 269‑319). Y est étudié, de manière chronologique, le traitement des grands moments de l’histoire romaine, d’abord de la fondation de Rome – qui rappelle étrangement la conquête de l’Ouest – à « l’agonie de la République » (chapitre 4, p. 258‑266) en passant par les Guerres Puniques et la révolte de Spartacus ; puis de la Rome des douze Césars à la chute de l’Empire sous les coups des barbares, après un passage par les débuts du christianisme et la destruction de Pompéi. Une dernière partie vient compléter le tout dans l’édition 2016, intitulée « De Rome à Byzance » et consacrée en réalité aux « suites » de Rome, d’abord dans l’Empire byzantin puis dans des mondes antiques que réinventent la science-fiction et l’uchronie.

Extrêmement riche pour les périodes historiques et les thèmes traités, et plus encore dans le nombre d’œuvres citées (plus de 900 pour cette réédition), l’ouvrage de Cl. Aziza réussit cependant à rester un guide, pratique, relativement court ; bref, facilement manipulable. D’autant qu’on peut certes le lire d’une traite, mais aussi y piocher au gré des envies ou besoins : la brièveté des chapitres et, surtout, les six index à la fin de l’ouvrage y invitent explicitement.

Pour maintenir ce format, il a fallu faire des choix, et c’est logiquement sur ce point que le Guide de l’Antiquité imaginaire pourrait le plus facilement prêter à la critique. Moins sur les titres choisis, dont l’auteur explique longuement, dans l’introduction, la conclusion et même un « interlude » au milieu de l’ouvrage, à la fois les difficultés du choix et les critères finalement retenus : la pertinence, la qualité, mais aussi la disponibilité des œuvres. Les limites de l’ouvrage tiennent plutôt de ce qu’il laisse de côté des pans entiers de la création à sujet antique sans réellement expliciter les raisons de cette exclusion. Ainsi de la littérature jeunesse, balayée d’un revers de main dans l’introduction : les « mutilations » que feraient subir les éditions jeunesse aux mythes antiques « justifier[ont], en partie du moins, [son] refus, dans ce guide, de prendre en compte les innombrables romans pour la jeunesse qui aujourd’hui pullulent et qui, à de rares exceptions près, naviguent entre l’érudition indigeste et l’académisme pédagogique » (p. 21 de la nouvelle édition). C’est presque un comble pour un livre qui, au contraire, a participé à l’entrée (encore timide) de la bande dessinée dans le champ de la recherche. Comme pour le roman jeunesse, c’est le manque de sérieux de la bande dessinée – qui se révélerait presque autant dans son public que dans son contenu – qui lui est encore parfois reproché. Et, comme la bande dessinée, c’est par les départements de littérature comparée qu’elle entre peu à peu dans le monde de la recherche.

En ce qui concerne la bande dessinée, la réédition de ce Guide de l’Antiquité imaginaire montre que, près de dix ans après la première édition de ce volume, la place qui lui est laissée dans l’étude des imaginaires antiques est encore bien faible aujourd’hui : le monde de la recherche n’aura pas répondu aux appels répétés de l’auteur d’inscrire pleinement l’étude de la BD dans les réflexions sur les imaginaires antiques. De fait, si aucun ouvrage n’était cité dans la bibliographie générale de l’édition 2008 (p. 279-280 de l’édition 2008), révélant à quel point le sujet était encore à construire, il n’y en a maintenant que deux : la publication des actes d’un colloque fondateur tenu en 2001 à l’Université de Pau et des pays de l’Adour sous l’impulsion de J. Gallego[1] et le numéro hors série du magazine DBD consacré à « Rome dans la bande dessinée », certes de très bonne qualité mais n’appartenant pas à proprement parler au domaine de la recherche[2]. À côté de la dizaine de titres sur le roman historique et des treize titres cités pour le cinéma – résultat d’une sélection drastique dans la grande production sur le sujet, la bande dessinée fait bien triste figure. Cela souligne si besoin était combien ce guide était nécessaire en 2008 et combien il est encore d’actualité aujourd’hui.

Une mise à jour était cependant nécessaire, et d’ailleurs envisagée dès la première édition[3]. Elle touche l’ouvrage de manière inégale. La première moitié, historique, du guide (parties 1 à 3) a seulement vu quelques pages ajoutées, parfois un court chapitre, d’autres fois un unique paragraphe, apportant un bilan des évolutions de chaque média durant la décennie 2010 : la pauvreté de la production pour le roman historique, la confirmation du renouveau du film à sujet antique dans la foulée de la sortie de Gladiator en 2000, l’apparition de la Grèce historique dans la BD. La seconde moitié de l’ouvrage a quant à elle fait l’objet d’un important travail de mise à jour mais aussi de réécriture et de réagencement. Le catalogue est passé de 600 titres, dont 350 romans, 120 films et 110 BD à 900 titres dont 500 romans, 200 films et 180 BD. Cela a permis de faire état de la production depuis 2008, mais aussi de faire entrer de plus anciens titres – surtout des films – qui étaient jusqu’alors indisponibles, tandis que d’autres, de manière plus marginale, ont dû être retirés, se révélant aujourd’hui quasiment introuvables. Les textes ont eux aussi été remaniés, parfois de manière importante, et largement augmentés. Le dernier chapitre, « Une autre Antiquité » (p. 326‑335) est ainsi une nouveauté de cette réédition reprenant certains paragraphes de l’édition de 2008 complétés et déplacés pour l’occasion (par exemple « Antiquité et science-fiction » qui tenait jusqu’alors lieu de commentaire au chapitre « La Grèce classique », p. 204-207 de l’édition 2008) et des développements inédits, tel « Le passé recomposé » (p. 327-329).

Cette réédition a aussi été l’occasion d’une ouverture, encore timide, à d’autres médias. Outre le passage déjà cité sur la publicité, quelques mangas apparaissent parmi les titres de BD franco-belges. Ils sont encore limités aux grands succès de librairie en France, tels Thermae Romae de Mari Yamazaki (6 tomes parus en 2012 et 2013) ou Bestiarius de Masasumi Kakizaki (4 tomes parus depuis 2015, série en cours). C’est d’ailleurs une des faiblesses du traitement de la bande dessinée que d’avoir exclu, sans le dire, tout ce qui n’était pas franco-belge. Cela dit, la pauvreté de la recherche dans ce domaine explique peut-être cette difficulté à traiter la production des arts séquentiels dans son ensemble.

Reste qu’avec une écriture incisive, qui n’hésite pas à pousser jusqu’à la provocation, Cl. Aziza fait un effort salutaire à la fois pour s’adresser à un large public et pour rappeler à tous combien l’Antiquité est vivante. Car c’est bien un ouvrage militant que ce Guide de l’Antiquité imaginaire, et ce militantisme, assumé dès le « Prologue » de 2008 (p. 15-22 de l’édition 2016), est réaffirmé avec force dans l’« Épilogue ? » qui ouvre l’édition de 2016 (p. 11-13). Cette réédition peut ainsi être lue comme une réponse à « une tentative de meurtre avec préméditation » (p. 12 de l’édition 2016) que serait, on le devine aisément, la réforme des collèges. On connaît l’implication de l’auteur dans le combat contre cette réforme, et il est évident que ce guide est aussi destiné aux enseignants (un dernier index de Curiosa, est ainsi dédié « à l’attention du lecteur curieux et, parfois, du pédagogue pressé »). Mais, au-delà de cet engagement récent, il s’agit bien ici de montrer plus globalement que l’Antiquité, trop souvent perçue comme « poussiéreuse » – pour reprendre une expression récurrente du livre, est en réalité on-ne-peut-plus vivante et actuelle.

S’il ne fallait finalement retenir de cette lecture qu’une dernière idée, ce pourrait être que cette Antiquité imaginaire, sans cesse réinventée selon les époques et les supports, parle en réalité moins des temps passés que du temps présent.

Pauline Ducret, Université Paris 8 – Vincennes – Saint-Denis

[1]. La Bande dessinée historique. Premier cycle : l’Antiquité (colloque des 23-26 novembre 2011), J. Gallego éd., Pau 2015.

[2]. « Rome dans la bande dessinée », DBD, HS Histoire13, 2015.

[3]. « Nul doute qu’une mise à jour régulière s’imposera », p. 171 de la première édition.