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Ce 185ème volume de la collection Historia Einzelschriften est la version remaniée d’une dissertation allemande soutenue par Stephan Berrens (désormais B.) en février 2002 à l’Université de Duisbourg.
L’auteur traite de la question du culte du soleil et de son importance politique croissante durant un IIIe siècle défini dans la longue durée, de l’avènement de Septime Sévère en 193 à la mort de Constantin en 337. L’ouvrage s’inscrit dans la tradition des études sur les cultes orientaux sur laquelle plane l’autorité de savants illustres tel Franz Cumont. Il s’insère par ailleurs dans un contexte de renouveau de l’histoire du IIIe siècle, siècle de la « grande crise », apprécié désormais de manière plus nuancée grâce aux nombreux travaux qui lui ont été consacrés ces vingt dernières années. B. a pleinement conscience des obstacles à surmonter pour traiter un sujet si ambitieux. En atteste l’avant‑propos (p. 7-8) où il exprime avec humilité son intention d’apporter un nouveau regard sur la question (ein neue Sichtweise) ainsi qu’un frischer Wind in die Diskussion (p. 7).
B. s’attèlle à la tâche avec toute la rigueur imposée par le cadre de la dissertation allemande même si le plan, clair et logique, souffre parfois d’une ramification extrême (par exemple la sous partie 3.3.2.4.2). La première partie (2. Die politischen und religiösen Rahmenbedingungen, p. 17-38) offre un cadre d’analyse commode, à travers de brèves mises au point sur l’historiographie de la crise du IIIe siècle d’une part ainsi que sur le culte du soleil et son utilisation par les empereurs jusqu’à Commode d’autre part. La deuxième partie (3. Die historische Entwicklung von Septimius Severus bis Constantin I., p. 39‑169) garantit à la recherche un ancrage chronologique solide, grâce à un dépouillement systématique de la documentation, règne après règne, des différentes références au culte solaire. Les phases d’évolutions dégagées correspondent à des découpages classiques : le temps des Sévères, l’époque couvrant les règnes de Gordien à Gallien, celle des empereurs illyriens, et enfin celle incluant la Tétrarchie et Constantin. Les moments forts que constituent les règnes d’Elagabal, d’Aurélien ou de Constantin apparaissent bien mis en valeur. La troisième partie, coeur véritable de l’ouvrage (4. Kaisertum und Sonnenkult : Strukturen und Merkmale, p. 171‑228), synthétise les données recueillies à travers plusieurs balayages thématiques traitant successivement des qualités et mérites attachés au dieu Sol (éternité, bienfaisance, toute‑puissance) ainsi que des efforts des empereurs pour s’associer et même s’assimiler à cette divinité supérieure. Un court appendice consacré aux évolutions de l’Antiquité tardive (p. 229‑234) précède la conclusion générale qui résume en huit pages les principaux résultats auxquels B. a abouti (p. 235‑242). Le livre, comme il est d’usage dans la collection des Historia Einzelschriften, est accompagné d’appendices de bonne qualité : une bibliographie des sources et des travaux modernes (p. 243‑260), un index des personnes, des auteurs et des textes mentionnés (p. 261‑282), et enfin deux planches hors texte illustrant l’importance croissante de l’iconographie relative au culte de Sol dans le monnayage impérial du IIIe siècle. Le manuscrit demeure soigné dans l’ensemble et l’on peine à prendre l’auteur en défaut : les coquilles sont rares (p. 231, n. 20 corriger P. Athanassisi‑Fowden en P. Athanassiadi‑Fowden), la bibliographie des travaux modernes bien présentée (au passage, la coordination de la publication du trésor d’Eauze revient à Daniel Schaad et non à Pierre Agrinier, p. 247). En revanche, dans la bibliographie des sources, une distinction entre les sources littéraires et les travaux modernes aurait évité des incongruités, par exemple le fait que se côtoient Cassiodore et René Cagnat.
Le premier acquis de cette recherche réside dans la masse d’informations dépouillées, rassemblées puis analysées dans la deuxième partie. Sur le sujet, on dispose désormais d’un outil de travail commode permettant d’embrasser l’ensemble de la documentation en un peu plus de 150 pages, sans compter les utiles mises au point historiographiques ou bibliographiques. Par‑delà ce travail de synthèse, les analyses de la deuxième partie, résumées en conclusion, apportent quelques éclairages neufs sur la question.
B., à travers un important effort de recontextualisation et de mise en perspective sur le long terme, souligne à la suite d’autres l’importance croissante du dieu Sol dans l’idéologie et la légitimité impériale. Dans ces temps de troubles, en s’appuyant sur ou en s’assimilant à un dieu bienfaisant, éternel et tout puissant, les empereurs du IIIe siècle ont cherché à restaurer la grandeur et l’éternité de Rome, tout en affermissant leur pouvoir personnel. L’image attachée à la divinité solaire offrait des soubassements idéologiques puissants pour proclamer et susciter un nouvel âge d’or. B., sans nier son importance, rappelle néanmoins et à juste titre que l’émergence croissante de Sol dans la « propagande » impériale n’a pas relégué au second plan les divinités traditionnelles romaines. Par ailleurs, l’utilisation du dieu Sol, loin d’être uniforme, a bénéficié de réadaptations constantes au gré des événements.
À ce titre, les efforts de B. pour nuancer un schéma bien établi depuis le début du XXe siècle constituent assurément l’apport principal de sa thèse. L’analyse précise des faits et la relecture critique de sources peu fiables (les passages de l’Histoire Auguste consacrés au culte solaire dans la Vie d’Aurélien en particulier) obligent à récuser la thèse de l’orientalisation de la religion romaine. Sol n’est pas un dieu oriental importé, utilisé dans une perspective hénothéiste, préfigurant le monothéisme imposé aux sommets de l’État et dans l’Empire au cours du IVe siècle. Invoquer le dieu Sol, pour un empereur du IIIe siècle, c’était recourir à une divinité ancienne et traditionnelle, reconnue et bien acceptée dès la République. En ce sens, l’usage idéologique qu’en firent les Sévères est comparable à celui que fit Auguste d’Apollon dans sa lutte contre Marc Antoine et Cléopâtre dans les années 30 av. J.‑C.. L’attention croissante portée à Sol au IIIe siècle ne serait donc que la confirmation, la maturation et la réadaptation de tendances en germe dès les débuts du Principat.
Dans le cadre de la communication entre l’empereur et les habitants de l’Empire, Sol est vite apparu comme une divinité attachée à des vertus cardinales (bienfaisance, éternité, toute‑puissance) et dont l’image pouvait être perçue différemment en fonction des groupes sociaux et des contextes géographiques. Divinité unitaire d’inspiration néoplatonicienne pour certains, divinité assimilable à un dieu local pour d’autres, dieu bienfaisant ou dieu guerrier, le recours à Sol dans un empire émietté et assiégé de toutes parts répondait aux nécessités de trouver de nouveaux facteurs de cohésion, en particulier des ciments idéologiques rassembleurs : voilà donc la vraie vocation de Sol conservator, voilà la véritable raison pour laquelle Sol fut le comes des princes jusqu’à Constantin.
B. enfin émet plusieurs réflexions originales sur le lien entre l’image de Sol et celle d’Alexandre le Grand dans l’idéologie impériale du IIIe siècle. L’auteur déplore en premier lieu que la question ait été totalement négligée par les historiens, à l’exception de la célèbre imitatio Alexandri de Caracalla qui aurait motivé, aux dires des contemporains, sa grande campagne parthique. La remarque est juste mais réductrice puisqu’il existe au moins un article intéressant le sujet pour l’époque tétrarchique (S. Dusanić, « Imitator Alexandri and redditor libertatis. Two Controversial Themes of Galerius Political Propaganda », dans D. Srejović éd., The Age of the Tetrarchs. A Symposium held from the 4th to the 9th O October 1993, Belgrade, 1995, p. 76‑97). Le souci exprimé par les empereurs de garantir leur invincibilité explique le recours à Sol, cette vertu du dieu solaire ayant été associée aux victoires d’Alexandre. De là, B. soutient que la dévotion des empereurs envers Sol s’expliquerait en grande partie par son identification avec le roi macédonien, l’iconographie monétaire où figurent les portraits de Sol pouvant plaider en ce sens. L’usage de l’épithète invictus, endossée avec prédilection par Caracalla, répandue dans les hommages publics du IIIe siècle, intégrée dans la titulature officielle impériale au plus tard sous Dioclétien renverrait alors autant à la qualité du dieu lui-même qu’aux vertus et gestes de celui qui fut son plus illustre protégé. Une telle perspective offre l’avantage de rattacher Sol aux guerres conduites en Orient en le considérant moins comme un dieu oriental importé que comme une divinité protectrice des généraux grecs ou romains vainqueurs des peuples orientaux.
Enfin, afin de prolonger ces réflexions stimulantes, on signalera plusieurs publications absentes de la bibliographie mais incontournables : l’article d’I. Tantillo, « L’impero della luce : riflessioni su Costantino e il Sole », MEFRA 115‑2, 2003, p. 985‑1048, fondamental sur le rôle de Sol dans la politique de Constantin ; celui de J.‑P. Martin, « Sol Invictus : des Sévères à la Tétrarchie d’après les monnaies », CCG 11, 2000, p. 297‑307 et enfin celui de M. Christol, « L’épigraphie impériale des Sévères au début du IVe siècle ap. J.‑C. », dans XI Congresso Internazionale di Epigrafia Greca e Latina. Roma 18‑24 settembre 1997. Atti, Rome, 1999, p. 333‑357 pour le passage novateur consacré à l’épithète invictus (p. 342‑343). Plus récent encore – mais B. ne pouvait en avoir pris connaissance – l’article de M. Bergmann, « Konstantin und der Sonnengott. Die Aussagen der Bildzeugnisse », dans A. Demandt, J. Engermann éd., Konstantin der Grosse. Geschichte–Archäologie–Rezeption, Trèves, 2006, p. 143‑161.
En définitive, par‑delà ces quelques remarques de détail, B. propose un livre intéressant, synthétique, et qui ouvre plusieurs perspectives originales sur un sujet pourtant largement parcouru.

Antony Hostein