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L’ouvrage présent traite le verre découvert dans des contextes d’habitats situés à l’est des Carpates et à l’ouest de la rivière Prout longeant cette chaîne montagneuse. Le Prout est un affluent du Danube, rejoignant ce dernier depuis le nord au niveau du grand méandre précédant le delta danubien. Le territoire étudié n’est pas très grand et n’était pas intégré à l’Empire romain.

Le mobilier en verre présenté provient de cinq habitats de type dit davae, soit des agglomérations fortifiées similaires aux oppida celtiques. Ils sont situés à distance de la côte ouest de la mer Noire, qui possède déjà de nombreux habitats d’importance pour cette période précoce ; ils sont également à l’écart du Danube et de la route menant aux villages implantés au nord-ouest de la mer Noire, dans les environs de la Crimée actuelle. Toutefois, il semble que ces davae profitaient d’un axe de circulation non négligeable. De plus, leurs habitants avaient aussi de fréquents contacts avec les cités hellénistiques puis romaines. Partant de cette région relativement insignifiante, l’étude s’étend considérablement d’un point de vue géographique et chronologique.

La préface est suivie d’une introduction contenant l’état des recherches, la structure de l’ouvrage et les remerciements aux collègues. Ces passages ont été traduits en anglais.

Il semble impossible de synthétiser l’ensemble du contenu de l’ouvrage étant donné qu’il se réfère à tous les écrits de ces dernières années sur le thème des « verres précoces ». Le texte sera donc apprécié en premier lieu par les lecteurs avertis.

En commençant par une rétrospective sur les premiers scientifiques ayant travaillé sur le verre, l’auteur livre une synthèse détaillée des nombreuses études et collections. Il évoque également la fondation du « Corning Museum of Glass », en tant que musée d’importance majeure sur le verre, ainsi que les différentes associations des spécialistes du verre et de leurs publications et congrès. Il accrédite également les articles scientifiques rédigés par les chercheurs des pays avoisinant la Roumanie. L’auteur procède aussi à un inventaire des ouvrages consacrés aux régions étudiées. L’histoire de la recherche, répétitive, aurait pu être condensée, puisqu’elle est généralement bien connue des chercheurs dans le domaine.

Le résumé de la structure de l’ouvrage s’avère très utile.

Le premier grand chapitre traite des « ars vitraria experimentalis », c’est-à-dire du verre au croisement entre art et artisanat. Ici sont abordés – à nouveau en détail et en synthétisant les dernières années de recherche – le verre et ses propriétés, la corrosion, le potentiel des méthodes scientifiques de datation, les moyens de conservation des objets en verre et la contrefaçon. Suit un tracé du processus de développement intégral débutant à l’époque archaïque et s’étendant de la Mésopotamie vers l’Égypte, jusqu’à Rhodes. L’auteur met en avant trois facteurs majeurs d’influence : des événements historiques particulièrement marquants, des technologies novatrices et l’air du temps. Par la suite, le chapitre fournit davantage de détails sur ces facteurs. Les différentes terminologies antiques du verre y sont abordées, de nombreuses sources écrites antiques sont citées et diverses technologies précédant l’invention du soufflage du verre sont présentées. De plus, il expose les différents groupes typologiques établis entre autres par Dan Barag, dont la classification des verres moulés sur noyau établie en 1985. Boţan évoque également les interdépendances métal‑verre et céramique-verre. Il enchaîne par un récapitulatif historique de l’industrie du verre hellénistique, qui est présenté à travers les trois grands groupes typologiques des récipients en verre : les groupes Canosa, Tel Anafa/Delos et Antikythera. Ceux-ci datent de 330 à 150 av. J.-C., de 150 à 50 av. J.-C. et de la période de transition s’étalant environ de 75/50 av. J.-C. à 25 ap. J.-C. Le groupe Canosa a été récemment étudié de manière synthétique par M. E. Stern. La référence à cette publication aurait largement suffi à la compréhension de ce groupe de verre luxueux. Il s’agit d’un corpus de coupes et d’assiettes majoritairement en verre transparent ou en verre mosaïque. De plus, de particulièrement grandes coupes à pied sont également représentées. Les vases les plus spectaculaires sont à double paroi incluant une feuille dorée. Malheureusement, les fouilles des tombes n’ont pas été effectuées de manière systématique, les offrandes ont été dispersées dans le monde entier et les datations sont imprécises. Le deuxième groupe est constitué principalement de coupes hémisphériques à divers profils en verre monochrome, alors que le verre mosaïque est rarement représenté. Tel Anafa a essentiellement livré des coupes coniques à hémisphériques en verre relativement épais, se caractérisant par des rainures marquées sur la face interne du récipient. Des coupes côtelées figurent également en nombre considérable. La diversité typologique est plus grande à Délos qui y ajoute des coupes à cannelures sur la face extérieure ainsi qu’un décor végétal moulé. L’attribution chronologique des vases est de la deuxième moitié du IIe siècle au Ier siècle av. J.-C., alors que pour Délos ils s’inscrivent entre la fin du IIe siècle et le Ier siècle av. J.-C. La période d’utilisation des différentes formes et leur évolution ne peuvent être discutées ici. Le dernier groupe, constitué de verre découvert dans une épave aux alentours de l’île d’Antikythera (GR), est composé d’un grand nombre de formes qui ne sont pas représentées dans les groupes précédents, notamment de petits bols en verre mosaïque, de grands skyphoi moulés, mais aussi des représentants du groupe dit Tel Anafa/Delos. L’attribution chronologique est de la deuxième moitié du Ier av. J.-C.

Les explications au sujet du verre hellénistique sont suivies de l’histoire de l’industrie romaine du verre. À cet égard, l’accent est principalement porté sur la soi-disant révolution technique du verre soufflé. Avant son apparition, tous les récipients en verre étaient moulés, bien qu’il existe diverses techniques de moulage. On a découvert dans un atelier à Jérusalem, au milieu du Ier siècle av. J.-C., que des tubes en verre échauffés pouvaient être évasés. Cependant, il s’écoula encore 100 ans avant que le verre soufflé soit archéologiquement attesté en quantités considérables. À ce sujet, l’auteur présente les sources écrites antiques, expose à nouveau l’histoire de la recherche et énumère les sites archéologiques qui ont livré du verre soufflé précoce. Aucune critique n’est faite à ce sujet, quoique les soi-disant preuves pour le verre soufflé augustéen soient à discuter. Cependant, les camps militaires bien datés des débuts de l’expansion romaine vers la Germanie ne sont pas pris en compte dans la discussion. Le verre soufflé est peu fréquent avant l’époque claudienne, alors que le verre moulé subsiste.

L’histoire du verre soufflé est suivie d’un passage dédié aux verriers. Trois lampes trouvées en Italie, Slovénie et Croatie, qui révèlent des représentations d’un atelier avec un four à verre et deux artisans, y sont mentionnées. En outre, ce sont les récipients avec inscriptions qui nous donnent davantage d’indications ; notamment les anses de skyphoi ou des verres soufflés-moulés. De plus, les noms des verriers indiquent leurs origines. Un excursus sur la légende du verre incassable chez Petrone précède d’autres citations de sources antiques et des explications au sujet des verres soufflés‑moulés. Cette technique, populaire entre 40 av. J.-C. et l’époque flavienne principalement, a permis de produire nombre de récipients de forme cylindrique ou conique avec divers décors, partiellement inspirés de récipients en métal. Ces verres connaissent une large diffusion dans tout l’Empire et même les régions au-delà.

À la suite de la rétrospective détaillée sur les verres précoces sont présentées les relations des peuplements daciques et carpatiques de l’est avec le monde gréco-romain. Le survol historique, complété de sources écrites antiques, est suivi par la présentation des sites ayant livré le verre traité dans le livre. Il s’agit de Petrodava-Bîtca Doaminei, Zargidava-Brad, Tamasidava-Răcătău, Piroboridava-Poiana et Cetatea Tirighana-Barboşi. Parmi ces sites, Poiana est celui qui a procuré le plus grand nombre de mobiliers en verre.

Suit une énumération des principaux biens importés, autres que le verre, découverts dans les implantations daciques et carpatiques de l’est. Ce sont majoritairement des amphores, de même que de la céramique, de la vaisselle en métal, des ornements et des armes. Ce chapitre est à nouveau très minutieux et rassemble l’état des recherches actuelles, sans oublier des informations sur les régions avoisinantes.

Ensuite, l’auteur aborde spécifiquement les verres hellénistiques et romains de la région des Carpates de l’est. Ces verres sont présentés suivant leur typologie : les alabastra fabriqués sur noyau, bols hémisphériques et coniques aux rainures internes; bols côtelés, petites coupes avec décor de cannelures soufflé-moulé, petites coupes avec côtes étirées et fils appliqués, récipients avec repliement de la panse, petits bols hémisphériques et ovoïdes, modioli, skyphoi, canthari, carchesia, gobelets soufflés-moulés à inscriptions, gobelets soufflés-moulés à décor d’amandes, gobelets à facettes gravés, gobelets avec fond massif, gobelets avec lignes gravées, assiettes, cruches polygonales, urnes cineraires, aryballi, unguentaria, jetons et bâtons ainsi que des fragments qui ne peuvent être déterminés précisément.

La description des groupes susmentionnés évoque parfois des « déjà-lus ». De mon point de vue, il n’est pas réellement compréhensible que trois pages soient attribuées à la découverte d’un récipient précis, qui en outre n’est pas clairement identifiable comme un albastron. L’évocation de nombreux parallèles est appréciable. Cependant, étant donné que cette énumération est en roumain, elle sert avant tout aux chercheurs locaux, qui devraient déjà connaître ces références. Un bref résumé en anglais, abordant l’impact de la découverte, serait utile à cet endroit, ainsi que pour toutes les autres descriptions.

Compte tenu du cadre géographique restreint abordé dans l’ouvrage, le tout reste exposé de manière très détaillée.

Quelle était l’importance du verre pour la population ? Quels courants d’échanges sont‑ils perceptibles à travers les importations ? Et quelles sont les relations avec les importantes régions avoisinantes, notamment les bords de la mer Noire et la Crimée actuelle ? L’ouvrage livre des données très informatives, à ces propos, pour la région traitée à l’époque romaine. Ces passages auraient également été intéressants pour les chercheurs ne parlant pas le roumain. Le récapitulatif détaillé des publications de ces dernières années est en premier lieu utile aux chercheurs roumains, ce qui mérite d’être salué. Toutefois, un esprit plus critique serait aussi plus profitable pour ces derniers. Cela dit, quelques datations sont incorrectes. Le verre soufflé n’est pas prouvé archéologiquement en nombre suffisant avant l’époque claudienne, même pas en terre italique. La caractéristique prépondérante des verres soufflés précoces est leur petite taille, en outre, il n’existe pas de verre soufflé Cameo. Clasina Isings, dont le prénom est écrit avec un «s» uniquement, est incontournable pour la recherche du verre et son œuvre reste importante. Malgré cela, les datations et les propos d’une publication datant de 1956 ne peuvent être repris tels quels.

La synthèse de l’ouvrage présente l’analyse, suivant la méthodologie de van Lith/Randsborg[1] de 1985, des trouvailles provenant des cinq implantations. Ces deux auteurs ont résumé les publications des découvertes de verre de nombreux sites majeurs, de camps militaires, de sépultures, etc. Ils ont ensuite comparé les pourcentages des formes typologiques. Pour cela, les récipients ont été regroupés dans les catégories suivantes : gobelets, coupes, récipients fermés, etc. Cette démarche peut fournir quantité d’informations pour de grands complexes de matériel, mais toutefois pas pour un corpus d’environ 30 récipients provenant de contextes variés ! Les services de table et la vaisselle à boire sont les types les plus fréquents parmi le verre romain, mis à part les découvertes en contextes particuliers comme les sanctuaires, etc.

L’histoire détaillée des débuts du verre jusqu’au Haut-Empire est accompagnée d’un inventaire de 360 fragments de verre provenant de cinq sites, parmi lesquels un habitat est représenté par un seul fragment. Les passages décrivant les conditions socio-économiques dans les régions traitées, qui seraient intéressants pour les chercheurs ne parlant pas le roumain, n’ont malheureusement pas été traduits de manière détaillée. Cela aurait assuré une propagation au‑delà de la zone roumanophone. La synthèse en anglais à la fin de l’ouvrage est bien construite, quoiqu’elle reste naturellement plutôt générale. L’auteur souligne à plusieurs reprises la rapidité à laquelle le verre a été intégré dans la vie quotidienne des devae cités précédemment. Toutefois, parmi ces implantations traitées, seul Poiana possédait un nombre considérable de récipients (275). Les quantités de 30, 29 ou 24 exemplaires ne laissent que peu de marge d’interprétation. Une généralisation n’est alors en aucun cas admissible, car pour la région traitée, il semblerait que l’histoire de la recherche, ainsi que l’ampleur et l’objectif des fouilles effectuées ont leur importance quant à la raison de la présence du verre dans les sites.

Le livre est très bien structuré. Les passages anglais auraient pu être plus étoffés, par contre, la traduction de l’introduction aurait pu être évitée. L’ouvrage est bien détaillé et principalement utile pour les collègues roumains puisqu’il synthétise les publications sur le verre des dernières années. Cet effort ne paraît pas forcément nécessaire compte tenu de l’inventaire traité constitué seulement d’environ 350 pièces. Par contre, une réflexion critique sur la littérature publiée et une approche distincte de datation se basant sur des données archéologiques des sites traités font défaut. Les illustrations sont malheureusement médiocres, le tableau typologique est constitué de dessins rudimentaires provenant de la publication de Clasina Isings. Dans ce cas-là, de nouveaux dessins auraient été appropriés. Le carchesium à la page 268 est représenté par un exemplaire orné de fils de serpent de Cologne qui ne date pas du Ier, mais du IIIe siècle ap. J.-C., ce qui peut faire l’objet de malentendus. Le balsamaire à la page 274 n’est pas un unguentarium du type « candle-stick », car le corps typique, plat et vaste fait défaut. Ce type n’est pas encore attesté au Iersiècle ap. J.-C.

Pour présenter le processus de production des récipients moulés sur noyau, l’auteur aurait pu se référer aux résultats plus récents de M. E. Stern. Certaines photos scannées du catalogue sont de si mauvaise qualité qu’il est difficile d’identifier le récipient représenté. Il en est de même pour les photos en couleur qui ne restituent pas bien la teinte des récipients. Les dessins sont quelquefois mal orientés, les profils retracés en noir dissimulent parfois les détails techniques sur le fond et les bords des récipients. Le verre mosaïque de la planche 25,2 aurait dû être imprimé en couleur puisqu’il peut être confondu avec un récipient tardif daté du IIIe siècle.

Dans son ensemble, l’ouvrage est de qualité et utile avant tout pour les personnes travaillant sur les régions orientales de l’Empire.

Sylvia Fünfschilling

 

[1]. S. van Lith, K. Randsborg, Roman Glass in the West : A Social Study, 1985, p. 413-532.