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En se centrant sur le Nouveau Testament et en analysant les sept figures positives de femmes qu’il contient (la Samaritaine, la Cananéenne, l’hémorroïsse, les femmes de l’onction, Marthe et Marie, Marie-Madeleine et les femmes au tombeau, Marie mère de Jésus), puis la série des figures négatives (Hérodiade, Salomé, la servante du reniement de Pierre, Saphire, qu’il faudrait peut-être orthographier Sapphire), ensuite la parabole des dix vierges, enfin les femmes des temps apostoliques (Priscille et les femmes dont parle Paul), Catherine Broc-Schmezer nous fait en réalité circuler dans l’ensemble de l’Tmuvre de Jean Chrysostome, qu’elle connaît admirablement. Ce qui l’intéresse, c’est la présence et la place de ces figures dans les Commentaires, les Homélies et les Traités de Jean Chrysostome, l’utilisation exégétique qu’il en donne (notamment par rapport à ses prédécesseurs, mais aussi dans la controverse antijuive), l’utilisation pastorale qu’il en fait (modèles à suivre, et par qui, les hommes, les femmes, les deux ; contre-modèles à éviter, et par qui).

Les chapitres I à V, VIII et X suivent la même démarche : analyse des commentaires suivis, utilisation exégétique, utilisation pastorale. La démarche est quelque peu différente dans les chapitres VI, VII et IX, pour une raison que l’A. ne donne qu’à propos du chapitre VII consacré à Marie : Marie, à qui Jean Chrysostome fait de très nombreuses allusions, ne fait pas l’objet de longs développements, et surtout elle s’inscrit d’emblée dans le contexte théologique de la naissance extraordinaire du Christ (p. 245). On devine qu’une particularité théologique du même ordre a déterminé la démarche du chapitre VI (Marie-Madeleine et les femmes au tombeau), qui pose le problème de la priorité de la Révélation accordée aux femmes. Il en va de même du chapitre IX : la parabole des dix vierges appelle immédiatement une réflexion théologique sur la survenue du Royaume de Dieu. Néanmoins, on peut se demander s’il n’aurait pas été possible d’observer dans ces trois chapitres la même démarche que dans les sept autres.

Cette étude se recommande aussi par la clarté et la correction de son écriture (un lapsus calami peut être signalé à la p. 187 : ?p?s?aµa? au lieu d’?p?staµa?). Les index finaux font de ce livre un instrument de travail pour tous les spécialistes de Jean Chrysostome. Toutefois, l’index thématique de l’index analytique (p. 569) mériterait d’être enrichi de quelques termes, comme aumône, mariage, travail, virginité.

Dans le chapitre IX sur la parabole des dix vierges, qui contient un excellent développement sur la théologie de la grâce (p. 414-421), la question de la virginité et de l’aumône (p. 429-444) gagnerait à traiter en même temps du mariage, dans la mesure où des époux chrétiens peuvent, aux aussi, avoir « l’âme vierge ». Dans la conclusion de ce chapitre (p. 446-447), il est affirmé que « l’exégèse de Chrysostome […] est demeurée littérale ». Il faut nuancer. Cela est vrai dans le cas de la virginité, mais cela n’est pas vrai à propos de l’huile que Chrysostome interprète toujours de l’aumône. Une telle interprétation n’a rien d’évident et relève clairement de la méthode allégorico-typologique de la grande tradition patristique.

Deux observations pour finir. On sait que, dans le cas de Jean Chrysostome comme d’autres écrivains ecclésiastiques, il n’est pas toujours facile de déterminer si l’on a affaire à un commentaire ou à une homélie. Les deux formes littéraires sont très proches l’une de l’autre ; un commentaire peut contenir des exhortations morales, et une homélie peut commenter des versets à la suite ; en définitive, seule la présence d’une doxologie permet de trancher : c’est dire qu’il suffit d’ajouter une doxologie à un commentaire pour le transformer en homélie. L’A. soulève bien le problème à la p. 24, mais on est un peu déçu qu’elle n’aille pas plus loin. Pourquoi, par exemple, parle-t-elle çà et là de Commentaires sur les Psaumes, et non d’Homélies sur les Psaumes, alors que ces textes s’achèvent par une doxologie ? Pourquoi est-il question des Homélies sur les Actes p. 545 et du Commentaire des Actes p. 464 ?

Une phrase de la p. 244 soulève en passant la question du canon de Jean Chrysostome : « l’Apocalypse […] ne faisait apparemment pas partie du canon antiochien ». Pourquoi cet « apparemment » ? La consultation des index scripturaires de Jean Chrysostome montre qu’il ne cite jamais 2 Pierre, 2-3 Jean, Jude et Apocalypse, tout comme les autres auteurs antiochiens. Dans l’index scripturaire de la p. 547, il y a une référence à Apocalypse 12,2, mais, quand on se rapporte à la p. 79, on constate qu’il ne s’agit nullement d’une citation faite par Jean Chrysostome. Le canon du Nouveau Testament de Jean Chrysostome contenait 22 textes, et non 27.

Gilles Dorival