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Cette publication est le résultat de quatre campagnes d’étude menées à Ostie de 2002 à 2005. Son objet principal est le château d’eau dit de la Porta Romana, situé dans la regio V V au contact de la muraille républicaine, partiellement fouillé en 1985-86 mais resté très peu étudié. L’ouvrage est à ce titre une étude de cas mais il est aussi, plus largement, une étude du réseau d’adduction d’eau dans son ensemble, envisagé sur la longue durée et dans ses relations avec le développement urbain de la colonie. L’introduction présente les choix méthodologiques et terminologiques faits par les auteurs, proposant notamment un essai de définition du terme « castellum aquae » (p.10-18). Devant la difficulté à dégager une typologie architecturale bien marquée, deux caractéristiques essentielles sont mises en avant – la connexion à un aqueduc et la distribution des eaux en plusieurs dérivations – tandis qu’est affirmée la nécessité d’envisager le château d’eau dans sa relation avec le réseau d’infrastructures auquel il appartient et plus largement avec son contexte urbanistique
La partie I détaille les méthodes utilisées et en premier lieu le recours à l’archéologie de la construction, qui associe à une lecture technique des vestiges architecturaux des réflexions sur l’organisation fonctionnelle des chantiers de construction. Des méthodes archéologiques complémentaires – sondages, études de mobilier, analyses géologiques, restitutions en 3D – viennent enrichir les données issues de l’étude des élévations. La documentation textuelle, principalement épigraphique, est également sollicitée, afin de reconstituer la chronologie et la topographie du réseau d’adduction mais aussi de réfléchir aux acteurs de sa construction et de sa gestion.
La partie II porte sur le castellum aquae de la Porta Romana et le réseau d’adduction dans les dernières années du Ier s. L’étude commence par un développement sur les aqueducs du territoire d’Ostie et la situation du réseau d’adduction avant la construction du château d’eau de la Porta Romana, qui intervient à la fin du règne de Domitien. L’analyse de celui-ci selon les principes de l’archéologie de la construction permet de dégager les étapes de sa construction, de l’installation des fondations à l’aménagement du système d’adduction d’eau depuis l’aqueduc. Le passage à l’échelle du réseau et du tissu urbain permet de constater que le château d’eau est contemporain des transformations urbaines de la fin du Ier s. : il est possible qu’il prenne place dans un réaménagement du système d’adduction à l’intérieur de la cité, accompagnant un rehaussement des niveaux de circulation. Toutefois, malgré les vastes proportions du réservoir, son importance au sein du réseau doit être relativisée : il semble être plutôt un château d’eau secondaire, desservant un ensemble de quartiers qu’il n’a pas été possible d’identifier de manière certaine. En ce qui concerne l’initiative et le financement du réseau de la fin du Ier s., qui comprend des fistulae portant le nom de l’empereur et d’autres portant le nom de la colonie, les auteurs avancent l’hypothèse d’une intervention conjointe de l’autorité impériale (financement et planification du réseau) et de l’autorité municipale (gestion quotidienne).
La partie III envisage le devenir du castellum aquae et du réseau d’adduction dans la première moitié du IIe s., marquée par des modifications profondes du tissu urbain. Le château d’eau de la Porta Romana est doté d’aménagements complémentaires, qui témoignent d’une évolution dans la gestion de l’eau liée probablement à la volonté d’optimiser le fonctionnement de l’ensemble, tandis que des évolutions sont perceptibles dans son environnement urbain, avec le développement précoce d’une zone de dépotoir hors les murs. Une réflexion sur le développement conjoint du réseau d’adduction et de l’urbanisme dans les régions IIII, IIIIIIIII et IVIV permet de souligner l’existence de projets immobiliers de grande ampleur incluant l’aménagement d’infrastructures d’adduction d’eau. La construction du castellum aquae de la Porta Marina (IVIV, 8, 2) dans les années 120 s’intègre dans un projet urbanistique comprenant la création du complexe immobilier IV, 7, 3-5 ; elle est aussi liée à un réaménagement du réseau hydraulique qui voit la mise en place d’une nouvelle canalisation courant sur la muraille et desservant plusieurs châteaux d’eau de quartier. L’existence de ces projets, nécessitant des investissements de grande ampleur, conduit à s’interroger sur les acteurs qui en sont à l’origine. À Ostie se pose en permanence la question de la part respective de l’intervention des individus, de l’autorité publique municipale et du pouvoir impérial. Si les châteaux d’eau et les immeubles auxquels ils sont associés ont pu être construits aux frais d’un ou plusieurs particuliers (les auteurs rappelant à ce titre l’évocation par Frontin d’un régime de copropriété privée pour les châteaux d’eau), il est aussi possible que de grandes familles sénatoriales, l’entourage impérial voire l’empereur aient joué un rôle. La regio IIII a livré une série de fistulae portant le nom de l’empereur, ce qui amène les auteurs à formuler l’hypothèse d’une intervention de celui-ci, non en tant que propriétaire (il s’agit d’une zone d’ager publicus) mais en tant qu’évergète et/ou investisseur.
Enfin, la partie IV envisage l’évolution du castellum aquae de la Porta Romana et du réseau à partir de la fin du IIe s. Les données disponibles sont fragmentaires, mais une série d’observations ont pu être faites. Le IIIe s. est marqué par l’aménagement d’un nouvel aqueduc, qui devait alimenter le château d’eau ; celui-ci est peut-être encore en fonction au IVe s., avant de connaître une lente dégradation. Plusieurs indices vont néanmoins dans le sens d’un entretien du réseau d’adduction jusqu’à une date tardive, probablement au moins jusqu’au milieu du Ve s. Le paysage urbain à hauteur de la Porta Romana offre une image très contrastée : alors que les abords du château d’eau accueillent dès la fin du IIe s. une zone de dépôt de déchets céramiques et animaux, une fontaine monumentale, témoignant d’un effort de mise en valeur de l’eau, est aménagée, au plus tôt à la fin du IIIe s., sur le Piazzale della Vittoria tout proche. C’est donc, pour cette période, une image d’hétérogénéité du tissu urbain qui se dégage, associant des zones pleinement entretenues et des espaces à l’abandon.
C
et ouvrage, servi par une documentation graphique de qualité, offre ainsi, à partir de l’analyse d’un monument de l’eau, une étude du réseau d’adduction de la cité, dans son ensemble et sur la longue durée, mais aussi un éclairage particulier et des plus intéressants sur le développement urbain d’Ostie à l’époque impériale. Il faut enfin en souligner les apports méthodologiques. Dans le domaine de l’archéologie de la construction, cette étude a donné lieu à l’élaboration d’un système d’enregistrement et d’analyse des données pour les élévations parementées de brique et de pierre, certes ouvert à des modifications mais permettant la constitution d’une documentation homogène et la mise en série des données pour des réflexions plus globales sur l’organisation des chantiers de construction. Par ailleurs, la volonté des auteurs de souligner les limites des sources et des méthodes, de formuler et explorer des hypothèses tout en rendant compte des difficultés, de confronter en permanence les données issues de cette approche pluridisciplinaire présentée comme une démarche « expérimentale » et qui porte ici véritablement ses fruits, font de cet ouvrage un véritable outil de travail et un point de départ pour de futures recherches sur l’histoire urbaine d’Ostie.

Lorraine Garnier