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C. Lundgreen part, pour cette recherche, du point de vue abstrait et très général de la question de la règle et de la norme à Rome : il envisage plus particulièrement les conflits de règles dans la Rome républicaine et, plus particulièrement encore, la valeur et le poids que pouvaient y avoir les normes dans les processus décisionnels du domaine politique.

L’auteur précise dans une première partie les cadres conceptuels de son enquête. Il considère les « règles » ou les « normes » comme des contraintes non pas universelles ni naturelles, mais établies par une société donnée et volontiers figées. Il en est autrement des « principes », et C. Lundgreen annonce (page 44). qu’il développera l’ idée d’une différence notable entre les règles, dures, et les principes, flexibles.

Dans une deuxième partie, il passe à l’examen concret de quatre catégories de cas. Le premier est celui des élections. Il rappelle d’abord les grandes lignes du fonctionnement du système électoral romain, puis établit un utile catalogue (pages 62 à 72), présenté de manière chronologique et allant de 460 à 49 av. J.-C., où apparaissent les grands cas de conflit sur les règles électorales. Il détaille ensuite et analyse les différents sujets de conflit : qui peut être candidat, dans quelles conditions, à quelles fonctions ? quelles sont les attributions des responsables des élections ? etc. La deuxième catégorie étudiée est celle du tirage au sort (sortitio) pour l’attribution des provinces. L’auteur procède de la même manière : tableau chronologique des principaux cas conflictuels (pages 122-127), puis étude détaillée des divers cas et de ce que signifiait dans les faits un tirage au sort. La troisième catégorie est celle de la religion, les controverses portant surtout sur les modalités d’exécution de tel rite ou l’absence de son exécution. Un tableau chronologique des cas est donné dans les pages 146 à148, puis est étudié le rôle des divers prêtres souvent impliqués dans ces conflits : augures, pontifes, flamines. La quatrième catégorie est celle de l’attribution du triomphe : tableau chronologique dans les pages 190 à 198. C’est là, on le sait, le domaine le plus sensible, car les règles d’attribution du triomphe dont nous avons connaissance, notamment par Valère-Maxime, apparaissent comme n’étant de loin pas toujours respectées. La recherche actuelle est très partagée sur la valeur réelle de ces règles, et C. Lundgreen pense pouvoir apporter à ce débat une contribution en faisant intervenir la notion de « principe ». Celui-ci, par la souplesse qui lui est inhérente, lui semble susceptible d’expliquer la diversité des situations : visant à l’optimisation, les principes « ne présupposent aucune décision, mais se contentent d’indiquer des motifs : chaque décision est ainsi une pesée entre (différents) principes, toujours valables, mais ayant un poids tantôt plus grand, tantôt plus petit » (page 227).

Dans une troisième partie, l’auteur propose une réflexion suggestive sur la nature et l’évolution historique des normes à Rome. Il estime que, dans leur forme ancienne et traditionnelle, elles ne peuvent en fait être considérées comme des règles, fixes, mais qu’elles comportent dans les faits la flexibilité de principes. Il constate un changement des choses entre 200 et 180 av. J.-C., dû, considère-t-il, à l’arrivée au pouvoir, après les grandes pertes humaines de la défaite de Cannes, de nouvelles couches sociales : les règles deviennent alors de plus en plus rigides et les examens de situations conflictuelles données au cas par cas sont dès lors de moins en moins nombreux. Cette situation contribua à amoindrir l’importance du sénat, précisément chargé dans la tradition d’examiner et de trancher les cas particuliers de conflits. Ainsi, si le renforcement de la règle présentait l’avantage de la clarté, C. Lundgreen estime que le système ancien de la flexibilité dans la résolution des divers cas comportait en lui-même une certaine stabilité.

Outre une importante bibliographie, dans un domaine souvent peu connu des spécialistes de l’Antiquité, et des index (de lieux, de noms et de choses), on trouvera en annexe (p. 309 à 319) un tableau général de l’ensemble des conflits analysés dans le livre, classés chronologiquement et donnant à chaque fois l’année de l’événement, le domaine de la controverse, ses acteurs, un bref résumé de son contenu et les principales références textuelles de son attestation.

Gérard Freyburger