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L’A. présente ici le deuxième volume de sa grande étude sur les compétitions équestres dans les mondes grec, étrusque et romain. Le premier ayant porté sur les courses de quadriges (cf. notre compte rendu dans cette même revue, REA 114, 2012, p. 674-676), on aurait pu s’attendre à ce que le suivant fût consacré aux autres courses attelées et en particulier à celle des biges. Il n’en est rien et la phrase de conclusion p. 59 semble indiquer que ce ne sera pas non plus le thème du troisième volume puisque celui-ci devrait être dédié aux « agoni ippici greci nella tarda età ellenistica » et à leur rencontre avec les « ludi circensi della Roma repubblicana », ce dont je me réjouis à titre personnel. Ce deuxième volume est quant à lui consacré à la course montée, autrement dit à la kélès, un mot pour lequel une étymologie intéressante est proposée en note 1, et on serait bien en peine de fournir un équivalent latin puisque très curieusement cette course à priori banale avec des jockeys a été laissée de côté à Rome au profit des courses de cavaliers voltigeurs, autrement dit de desultores (et on voit ainsi Pline l’Ancien, NH, 34, 19,75, obligé d’utiliser l’expression celetizontas pueros pour parler de statues de jockeys).

La structure de cet ouvrage est la même que précédemment, avec deux parties à peu près égales d’un peu plus de 60 pages, la première de texte et la seconde faite de divers index, d’un lexique et d’une bibliographie, à quoi il faut ajouter 55 figures (photographies en noir et blanc, et dessins : à la note 216, il faut lire fig. 38 et non 39, mais le détail des éperons n’est pas très clair). Sont passés en revue les textes et les images les plus anciens : la plus ancienne représentation de course montée se trouverait sur une oenochoè conservée à Athènes (c’est le fragment choisi en couverture, mais il est dommage que les datations n’accompagnent pas les figures) ; cependant les choses deviennent vraiment claires lorsqu’on peut voir le prix de la course, par exemple un trépied, et des juges. Sont étudiés ensuite les textes littéraires, Quintus de Smyrne et les poètes lyriques archaïques, puis on en arrive aux images du VIe siècle sur des céramiques que l’A. commente fort bien, montrant une excellente connaissance des allures du cheval et des gestes du jockey, ainsi que des réalités sportives du monde hippique contemporain : mais, quand on connaît les conventions antiques, je ne suis pas sûr ( à propos de la fig. 29 a-b, p. 15) qu’on puisse imaginer qu’un cheval figuré en troisième position puisse être le vainqueur final…)

Descendant dans le temps, ce sont ensuite les attestations littéraires (Pausanias, les poètes d’épinicies) et épigraphiques de courses montées jusqu’à la fin du Ve siècle : jamais on ne trouve le nom d’un jockey vainqueur, ce qui est bien le signe de la faible importance qui lui est accordée, et on peut saisir la différence avec les cochers romains et même d’autres techniciens du cirque comme les sparsores qui pouvaient parfois bénéficier d’une statue de marbre (sur ce point, la note 2 de l’introduction est un peu schématique). L’A. commente les victoires de Pherenicos connues par Pindare et Bacchylide, mais la carrière de ce cheval paraît bien longue. Il note aussi le curieux défi lancé en 404 par le coureur à pied olympionique Lasthénès contre un cheval de course, mais il est vrai que cette notion de défi (de « challenge » ?) est fréquente dans le sport grec.

Les amphores panathénaïques du Ve siècle, souvent découvertes à Vulci en Étrurie, permettent de voir des scènes de kélès très vivantes, car, contrairement aux courses de quadriges, plusieurs chevaux sont souvent représentés et c’est l’occasion de rappeler que parfois dans la Grèce antique l’intérêt de l’arrivée n’est pas limité au seul vainqueur. Sur l’amphore panathénaïque du IVe siècle (336-5, fig. 52), l’A. note à juste titre que deux jockeys sont nus pendant que le troisième porte une tunique, et suppose que ce pourrait être le moment du canter avant la course elle-même : on pourrait aussi songer à un cavalier jouant un rôle identique à celui de l’hortator du cirque romain ? Un paragraphe est consacré comme dans le volume précédent aux épigrammes hippiques de Posidippe : la note 178 résume les questions qui se posent à propos de l’attribution à Posidippe de ces nouvelles épigrammes et à propos de l’identification de la princesse Bérénice. Si on peut avoir parfois quelque doute sur l’épreuve à laquelle fait allusion une épigramme – le cheval mentionné est-il celui d’une course kélès ou un élément d’un attelage ? – on relèvera le détail de l’épigramme 72 qui voit une victoire « d’une tête » et l’intéressante note 191 à ce sujet.

Deux remarques pour terminer. À propos des victoires de Bérénice, on peut rappeler que les courses hippiques permettaient aux femmes de remporter la victoire dans des agônes puisque celle-ci était accordée aux propriétaires des chevaux, mais la note 209 vient singulièrement tempérer une interprétation trop féministe, en suggérant qu’ainsi les membres masculins de la famille s’évitaient le risque d’une éventuelle défaite… Enfin, une épigramme de l’Anthologie Palatine du Ier siècle de notre ère décrit le transport maritime d’un cheval de course : c’était une question essentielle que l’on a tendance à oublier et qui est pourtant présente à toutes les époques, depuis l’orientalisant étrusque jusqu’à l’Antiquité tardive avec les efforts déployés par Symmaque pour les jeux de son fils.

Cette seconde publication, menée avec rigueur et très bien documentée, présente les mêmes qualités que la précédente, et laisse bien augurer des études hippiques à venir. Les spécialistes des mondes étrusque et romain attendent avec impatience les volumes qui seront consacrés à ces derniers, d’autant qu’est annoncé à la note 188 « un futuro lavoro dedicato ai ludi circensi ».

Jean-Paul Thuillier