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Ces deux gros volumes de 898 pages au total (index compris) contiennent les actes du XIIe colloque international de mycénologie qui s’est tenu à Rome entre le 20 et le 25 février 2006. Comme ses prédécesseurs, ce colloque vise à faire le point des connaissances sur les textes mycéniens dans différents domaines : linguistique, organisation administrative, économie, religion…
Les deux volumes contiennent les textes des cinquante-sept communications données lors du colloque, dont on peut regretter que les éditeurs aient choisi de les présenter par ordre alphabétique des auteurs plutôt que d’effectuer un classement thématique qui en aurait rendu l’accès plus facile aux mycénologues.
F.R. Adrados replace d’abord la culture mycénienne dans le contexte général de l’histoire grecque et rappelle que les royaumes mycéniens présentent des caractéristiques politiques, sociales, économiques et religieuses qui les rapprochent des grands empires orientaux de l’Antiquité plus que de ce que connut la Grèce aux époque postérieures.
Quelques articles présentent les instruments de travail et les nouveaux textes : F. Aura Jorro annonce une nouvelle édition de son indispensable Diccionario Micenico ; E. Hallager présente des inscriptions en linéaire A encore non publiées provenant de Khania et de Petras et R.J Firth et J.L. Melena de petits fragments en linéaire B de Cnossos redécouverts pour la plupart des années après la fouille d’Evans et pour lesquels on n’a donc pas de contexte archéologique. M. del Freo, enfin, présente le rapport 2001-2005 sur les textes en écriture hiéroglyphique crétoise, en linéaire A et en linéaire B .
Suivent ensuite de nombreux exposés linguistiques portant sur l’étude des éléments lexicaux dans les composés mycéniens (A. Bartonek), sur les noms de personnes (J.L.Garcia Ramon), les archaïsmes et les innovations en grec mycénien (N. Guilleux), l’étude du nom mycénien *Aiguptos (M. Janda), l’étymologie mycénienne (O. Panagl), la non‑assibilation en mycénien et sa signification dans la préhistoire des dialectes grecs (R.J.E. Thompson), la syntaxe et la cooccurrence des cas dans les textes mycéniens (F. Waander).
Un grand nombre d’articles est également consacré à l’étude des systèmes graphiques, qu’il s’agisse du hiéroglyphique, du linéaire A ou du linéaire B. Ainsi, M. Civitilo s’intéresse au syllabogramme non déchiffré *19 et propose une lecture ru2 ou zo2 ; C. Cosani examine la formation des syllabes en mycénien et en chypriote ; G. Fachetti présente une étude des origines du hiéroglyphique crétois. À propos de ce même hiéroglyphique, le signe de la spirale est abordé en tant que symbole décoratif donnant naissance à un signe d’écriture (A.M. Jasink). M. Lindgren présente l’usage du syllabaire chypriote dans un environnement multiculturel. C. Milani aborde la question des variantes graphiques dans les textes en linéaire B en présentant la langue des scribes thébains. A. Panayotou, quant à elle, s’interroge sur la relation entre les écritures chypriotes et une éventuelle présence mycénienne à Chypre. A. Karnava pose l’hypothèse de la présence, dans les Cyclades, de scribes Crétois ou de scribes instruits par des Crétois, qui y auraient développé l’écriture. S. Sharypkin, enfin, présente les traits phonétiques et les règles d’écriture en linéaire B.
Deux communications seulement ont trait à l’archéologie, dont celle, particulièrement intéressante dans le contexte des polémiques déclenchées par l’édition commentée des nouveaux textes de Thèbes, du découvreur en personne, V. Aravantinos, qui fait état d’observations historiques et topographiques sur le sujet. Plus loin des préoccupations directes des mycénologues, mais non moins intéressante est la contribution de J. Bennet, E. Grammatiki, A. Vasilikis et T. Withelaw sur le résultat des fouilles intensives et systématiques de la vallée de Cnossos qui permet d’avoir une meilleure appréciation de l’histoire du site avant et après les époques des différentes administrations palatiales et en particulier à l’époque mycénienne.
Les autres communications sont consacrées à l’étude de la civilisation mycénienne, sous ses aspects administratifs, politique, religieux et économique, mais aussi artistique. Ainsi A. Franceschetti examine conjointement les témoignages picturaux et textuels concernant les musiciens et les instruments de musique dans les cours mycéniennes ; dans le même domaine artistique, N. K. Kazansky traite de la poésie grecque à l’époque mycénienne.
L’organisation de l’État et la politique des royaumes mycéniens sont les préoccupations de P. Carlier (réflexions sur les relations internationales dans le monde mycénien ? Y a-t-il eu des hégémonies ?) qui va chercher dans les textes hittites les renseignements que ne nous donnent pas les textes mycéniens pour conclure prudemment qu’il y a probablement eu un empire hégémonique mycénien ; E. Scafa étudie les conséquences sociales de la politique du palais. S. Deger-Jalkotzy s’intéresse à trois « carrières » mycénienne (a-mu-ta-wo, ku‑ru‑me-ne et pu2‑ke-qi-ri) et présente rapidement la structure politique et sociale des palais mycéniens. H. Thomas compare les systèmes administratifs linéaire A et linéaire B et J. Z Zurbach examine la diversité administrative à travers le traitement des problèmes fonciers à Pylos, Tirynthe et Cnossos. La question foncière est également l’objet de la communication de P. De Fidio qui traite des ki-ti-ta et me-ta‑ki‑ti‑ta. Dans le domaine militaire, un article est consacré aux séries Ra de Cnossos (A. Bernabé) et un autre à l’organisation territoriale du golfe d’Argolide (M. Marazzi).
D’une façon plus large, l’économie et la fiscalité sont abordées par un grand nombre d’intervenants : V. Aravantinos, L. Godart, A. Sacconi présentent le contexte archéologique, le texte et font un commentaire de la tablette TH Uq 434 qui fait état du versement de peaux au palais de la part de basileis thébains ; L. Bendall aborde le coût des fêtes d’après les quantités de produits versés pour les banquets dans les textes pyliens ; J.T. Killen fait une remarquable étude du contenu des tablettes MA de Pylos. M. Perna présente une réflexion sur quelques documents fiscaux et F. Rougemont une étude peu novatrice sur les quantités d’huile de la série Fh de Cnossos accompagnée d’une comparaison avec les données du bureau de l’huile de Mari. A. Sacconi, enfin, reconsidère la signification du terme o-pa dans les textes mycéniens.
La religion mycénienne, enfin, donne lieu à différentes études. Outre la communication de L. Bendall déjà citée, Z. Duev propose une vision du statut respectif et des origines de Zeus et Dionysos dans le panthéon d’après l’étude de leurs occurrences dans les tablettes en linéaire B. J. Gulizio dresse un tableau de la composition du panthéon cnossien, comportant un grand nombre de divinités d’origine minoenne (qu’il s’agisse de la version minoenne de divinités grecques ou de divinités purement minoennes adoptées par les Mycéniens pour des raisons à la fois religieuses et politiques). S. Lupack consacre une étude à la tablette PY An 1281 dans son contexte de découverte : le bâtiment nord-est de Pylos. Deux communications seulement, et on peut regretter qu’elles soient si peu nombreuses, sont consacrées à l’examen, plus ou moins critique, de l’interprétation religieuse des nouveaux textes thébains : Y. Duhoux mène une réflexion sur les attestations et les associations des « animaux sacrés » identifiés comme tels par les éditeurs des textes et conclut qu’il ne s’agit vraisemblablement pas d’animaux, mais d’humains, qui n’ont rien de sacré. M. Iodice, quant à lui, examine les attestations du terme a-pu-wa, qu’il associe à la « triade thébaine » ma-ka, o-po-re-i, ko-wa (dont l’existence est d’ailleurs fortement mise en doute, et à juste titre, par d’autres mycénologues) et qu’il inscrit dans un contexte plus large que celui des seuls textes thébains en le rapprochant des attestations de la prêtresse des vents et d’e-ri-nu à Cnossos.

Cécile Boëlle