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Le colloque dont nous avons ici les actes a été organisé au Darmouth College en 2003, en parallèle à une exposition intitulée «Coming of Age in Ancient Greece : Images of Childhood from the Classical Past» ; de fait, les sources iconographiques sont particulièrement à l’honneur dans cette publication et bénéficient d’un travail éditorial dont il convient de saluer la grande qualité. Concernant la Grèce et l’Italie et couvrant vingt siècles, du 2e millénaire a.C. jusqu’à la fin de l’Antiquité, les vingt communications proposées sont précédées d’une introduction générale, rédigée par Ada Cohen, rappelant les enjeux majeurs d’une histoire de l’enfance. Dans la continuité des Le colloque dont nous avons ici les actes a été organisé au Darmouth College en 2003, en parallèle à une exposition intitulée «Coming of Age in Ancient Greece : Images of Childhood from the Classical Past» ; de fait, les sources iconographiques sont particulièrement à l’honneur dans cette publication et bénéficient d’un travail éditorial dont il convient de saluer la grande qualité. Concernant la Grèce et l’Italie et couvrant vingt siècles, du 2e millénaire a.C. jusqu’à la fin de l’Antiquité, les vingt communications proposées sont précédées d’une introduction générale, rédigée par Ada Cohen, rappelant les enjeux majeurs d’une histoire de l’enfance. Dans la continuité des travaux de Philippe Ariès, une grande partie des débats ont plus particulièrement porté sur la perception que les adultes avaient des enfants et sur les sentiments qu’ils éprouvaient ou non à leur égard, ce qui n’est pas sans soulever d’importants problèmes de méthode, comme le souligne Ada Cohen, l’hétérogénéité des sources pouvant parfois donner l’illusion de ruptures importantes. La sollicitation, pour cette publication, de nombreux chercheurs, aux spécialités fort variées, se donne précisément pour but de mettre en valeur cette diversité des sources et de permettre une approche comparative de leurs apports. L’ouvrage aborde bien des débats actuels, s’intéresse aux filles tout autant qu’aux garçons, à l’imaginaire comme aux realia, prend en compte les sources iconographiques et archéologiques tout autant, si ce n’est davantage, que les sources littéraires, et passe en revue les différentes périodes de l’enfance, témoignant ainsi parfaitement de la visibilité nouvelle acquise par ce monde de l’enfance au cours des dernières décennies. Dans le même temps, il faut regretter que certaines études restent très ponctuelles et semblent tenir bien peu compte des autres communications. Pour prendre un seul exemple, les peintures murales d’Akrotiri (Théra) font l’objet de deux études, l’une consacrée à la représentation des filles (Paul Rehak), l’autre à celle des garçons (Anne B. Chapin), sans qu’une même approche ne soit privilégiée et sans qu’une discussion ne s’engage entre les deux auteurs, comme si, en somme, l’ouvrage était un simple recueil d’articles et non la publication d’un colloque.
Le volume est divisé en sept parties, d’importance inégale (Families ; Socialization and Enculturation ; Rituals and Life Transitions ; Gender and Representation ; Burial ; Commemoration ; Childhood and the Classical Tradition), privilégiant les dimensions parentales et religieuses, ainsi que la question de la représentation de l’enfance, de sa visibilité et des symboles qui y sont associés. De manière générale, la plupart des communications soulignent le soin, l’attention dont les enfants faisaient l’objet de la part de leurs parents, de leur vivant ou après leur mort, et rendent compte par des sources variées des multiples modalités d’expression de cet attachement.
Je présenterai pour ma part tout d’abord les communications relatives à l’espace grec, puis celles relatives à la péninsule italienne. Nous retrouvons dans les deux articles consacrés aux fresques d’Akrotiri, déjà mentionnés, l’un des fils rouges de l’ouvrage, à savoir la volonté de démontrer que la manière dont les enfants sont représentés nous permet de percevoir les différentes étapes de leur développement physique et social, telles qu’elles étaient perçues par les cultures concernées. Un jeu sur les apparences, les attitudes, les vêtements… témoigne donc de différences d’âge et d’une reconnaissance plus ou moins importante de leur rôle social ou religieux ; notons de ce point de vue l’importance des coiffures féminines, particulièrement révélatrices de leur âge et dans certains cas d’une possible participation aux activités rituelles. Le monde homérique fait l’objet d’une étude de Louise Pratt, l’un des seuls articles d’ailleurs à être entièrement consacré à une source littéraire, en l’occurrence l’Iliade. Cette étude souligne le caractère central qu’y joue la communauté parentale : modèle de souci des autres, la parentalité est animée par un éthos fondé sur la philotès, qui contraste bien sûr avec l’éthos agonistique plus traditionnellement associé au monde de l’épopée. Les nécropoles de la période géométrique sont pour leur part analysées par Susan Langdon : les jeunes gens y acquièrent une plus grande visibilité à partir du milieu du VIIIe s., et leurs traitements funéraires témoignent tout à la fois du paradigme héroïque qui structure l’imaginaire et la société, et de l’importance des rites de passage masculins et féminins dans la légitimation de l’ordre social.
Les sources iconographiques du monde grec classique occupent une place non négligeable dans l’ouvrage. Carol. L. Lawton observe ainsi que de nombreux enfants sont représentés sur les reliefs votifs athéniens, ce qui révèle leur forte implication dans les rituels, en particulier familiaux. Dans ces scènes stéréotypées, l’âge des enfants (l’auteur distingue les catégories suivantes : « babies, toddlers, older prepubescent children, and postpubescent youths and maidens on the verge of adulthood ») peut être déterminé en tenant compte de leur taille, de leur apparence physique, de leurs vêtements et de la plus ou moins grande attention portée aux rituels en cours d’exécution ; cette attention augmente bien sûr avec l’adolescence, les rituels pouvant dès lors les concerner directement, et les transformations de leur apparence témoignent de leur socialisation. Les enfants représentés sur les stèles funéraires attiques, étudiés par Janet Burnett Grossman, peuvent tout aussi bien être les défunts que des membres secondaires de la famille ou bien encore des esclaves, mais là encore les sculpteurs ont tenu à rendre compte des différences d’âge, et le soin apporté à certaines représentations témoignent de l’affection indubitable éprouvée à l’égard des jeunes enfants, du moins au sein des élites. Timothy J. McNiven étudie pour sa part la gestualité des enfants dans les peintures sur vase, et insiste plus particulièrement sur les différences entre filles et garçons : les femmes, quel que soit leur âge, et les jeunes enfants ont pour point commun une gamme de gestes assez pauvre, tandis que les garçons, au fur et à mesure de leur croissance, se rapprochent de la gestualité masculine, plus élaborée. Sur un ensemble de vases des années 440-400, Kômos, personnification du cortège dionysiaque, peut être représenté comme un jeune enfant ou un jeune satyre ; l’étude de cette série permet à Amy C. Smith de revenir sur l’importance de la seconde journée des Anthestéries, celle dite des Choés, et de montrer les connexions existantes entre la période de l’enfance et le monde dionysiaque. Dans une étude plus générale des sources iconographiques grecques, Ada Cohen observe que les représentations de l’enlèvement d’Hélène par Thésée différent de celles de l’enlèvement de Chrysippe par Laïos, dans le sens où seules ces dernières rendent manifeste l’écart d’âge entre les protagonistes, tout à fait explicite dans les sources littéraires. Comment expliquer cette différence ? selon A. Cohen, les artistes éprouveraient une véritable gêne à représenter un important écart d’âge entre un ravisseur et sa proie féminine, autrement dit le fait qu’une jeune fille prépubère puisse susciter le désir masculin. La poésie hellénistique (et plus particulièrement l’oeuvre de Callimaque) est étudiée par Annemarie Ambühl dans un article essentiellement historiographique, dénonçant les lectures qui en ont été proposées aux époques moderne et contemporaine.
Le sort réservé aux enfants dans les rituels funéraires fait aujourd’hui l’objet de nombreuses recherches, et l’ouvrage comme il se doit aborde également cette question, comme nous l’avons déjà vu. Deux études synthétiques assureront notre transition du monde grec à la péninsule italienne. Dans une étude consacrée aux nécropoles grecques, de l’archaïsme jusqu’au début de la période romaine, Anna Lagia se livre à plusieurs observations intéressantes : si la petite enfance (moins de trois ans) fait généralement l’objet d’un traitement spécifique, générant le plus souvent une moindre visibilité, il convient également de souligner la très grande variabilité des pratiques selon les nécropoles et les périodes et de tenir compte de la plus ou moins grande qualité des fouilles ainsi que de la plus mauvaise conservation des vestiges humains dans le cas des tout petits enfants ; en ce sens, les explications apportées à cette sous-représentation peuvent ne pas toujours être culturelles. Dans le cas du monde étrusque, auquel est consacré l’article de Marshall Joseph Becker, l’étude de la nécropole de Tarquinia montre que les enfants de moins de cinq ans n’étaient pas enterrés avec les enfants plus âgés et les adultes ; manquent également les sépultures des femmes mortes en couches. Autre article permettant la transition entre le monde grec et le monde romain, Rebecca Miller Ammerman analyse pour sa part les ex‑voto retrouvés à Paestum (et dans les environs) et offerts aux divinités kourotrophes locales, Héra, Aphrodite, Athéna ou bien encore Mater Matuta ; étudiant les transformations qu’ont connues ces terres cuites, au fur et à mesure que les sanctuaires en question, à l’origine grecs, passaient sous influence lucanienne puis latine, elle nous en propose une lecture subtile, prenant en compte la diversité ethnique mais aussi les similitudes de croyances et de pratiques d’une population à l’autre dans cette péninsule italienne, de l’Étrurie à la Grande-Grèce.
Les études iconographiques du monde romain concernent plus particulièrement la période de l’Empire. L’iconographie officielle à l’époque impériale, comme le montre l’analyse de Jeannine Diddle Uzzi, associe étroitement les notions de citoyenneté et de légitimité à la figure du père et à la patrilinéarité, tandis que la famille barbare, soumise, décomposée, est centrée sur la figure de la mère, et ainsi renvoyée du côté de l’illégitimité.
L’art funéraire romain fait l’objet de trois articles. Janet Huskinson étudie plus spécifiquement les stèles funéraires des familles d’affranchis et y retrouve toute la symbolique des valeurs romaines traditionnelles (les « virtues of Romanitas and family unit ») ; généralement, la famille représentée ne montre qu’un seul enfant, un garçon, qui témoigne de l’acquisition du nouveau statut et de sa transmission, tandis que les portraits individuels permettent davantage l’expression de sentiments personnels. Eve d’Ambra et Jean Sorabella consacrent deux études plus ponctuelles aux décors funéraires : de très nombreux sarcophages d’enfants sont ainsi décorés de courses de chars qui symbolisent les aléas de la vie et la valeur de l’enfant ; de même, la représentation du défunt sous les traits d’un Éros endormi, souvent accompagné d’un lézard, sublime l’enfant disparu et évoque les animaux de compagnie, partie intégrante de l’univers des enfants.
Nous terminerons ce compte rendu en présentant les articles relatifs au monde chrétien et à l’Antiquité tardive, pour leur part centrés sur les questions d’éducation. Constantin A. Marinescu, Sarah E. Cox et Rudolf Wachter commentent de magnifiques mosaïques du Ve s. p.C., les étapes de la paideia représentées permettant de retracer la vie d’un jeune garçon nommé Kimbros, de la première enfance jusqu’à l’adolescence. Phyllis B. Katz consacre son étude à la lettre 107 de saint Jérôme, qui contient tout un ensemble de conseils donnés à une jeune mère à propos de sa fille, destinée à l’Eglise. L’éducation prescrite, très stricte, doit avant tout préserver la pureté corporelle et morale de la jeune fille et la protéger par l’ascèse des dangers du siècle, afin d’en faire une digne « épouse » du Christ. Lisa A. Alberici et Mary Harlow, dans leur propre article, étudient de manière plus générale cette alternative du mariage et de la virginité, et montrent que dans la plus grande partie de la société, c’est vers 18 ans que les jeunes filles peuvent disposer de leurs biens, se marier ou bien choisir la virginité pour le reste de leur vie, ces « choix » se faisant à un âge un peu plus précoce au sein des élites.

Jérôme Wilgaux