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Le Corpus Rhetoricum est un cours complet de rhétorique qui a été rassemblé vers la fin du V e s. après J.-C. D’après Michel Patillon 1 , ce Corpus était composé au total de douze pièces : [1] Prooemium in artem rhetoricam ; [2] Aphthonios, Progymnasmata ; [3] Hermogène, De statibus ; [4a] Annotatio et [4b] Synopsis artis de inuentione ; [5] Pseudo-Hermogène, De inuentione ; [6] Prolegomena artis de ideis ; [7] Annotationes uariae in artem de ideis ; [8] Hermogène, De ideis ; [9] Pseudo-Hermogène, De methodo sollertiae ; [10] Synopsis artis de ideis ; [11] Maxime, De insolubilibus obiectionibus ; [12] Methodus ad prouinciarum praefectos oratione accipiendos. Après le tome I (rassemblant le Préambule anonyme à la Rhétorique, les Progymnasmata d’Aphthonios et les Progymnasmata du Pseudo-Hermogène), le tome II (Les États de cause d’Hermogène) et le tome III paru en deux volumes (L’invention du Pseudo-Hermogène et Synopse sur les exordes [vol. 1] ; Scolies anonymes au traité de L’invention du Pseudo-Hermogène [vol. 2]), Michel Patillon publie ici le tome IV du Corpus rhetoricum, qui contient l’édition, avec introduction, traduction et notes, des pièces [6], [7], [8] et [10] : les Prolégomènes au De ideis, le traité des Catégories stylistiques du discours (De ideis) d’Hermogène et les Synopses des exposés sur les Ideai. Comme dans les volumes précédents, l’introduction au traité d’Hermogène propose une analyse de la tradition manuscrite et des éditions antérieures (p. CXXXIII-CXLI). Elle présente également de façon analytique le plan et le contenu des pièces éditées ici (p. X-XXIV), avant d’examiner la place d’Hermogène dans l’histoire de la théorie des ideai. Cette théorie, rappelle Patillon, est née vers le milieu du II e s. ap. J.-C. et s’inspire des « théories stylistiques du discours oratoire (uirtutes narrationis, uirtutes dicendi, genera dicendi, genera orationis) et des théories générales du style (?a?a?t??e? ??µ??e?a?), voire de théories annexes », comme « les traités des figures ou des tropes » (p. XXVI). Son organisation est toutefois directement reliée à la doctrine des qualités du style développée par la Nouvelle Académie. Patillon retrace brièvement, mais d’une façon tout à fait passionnante, l’évolution de cette doctrine, de son contenu, de ses divisions, de ses rapports notamment avec les parties du discours ou avec les genres de discours, depuis le Cicéron des Partitiones oratoriae, Basilikos et Harpocration jusqu’au traité d’Hermogène (II e s.), qui marque l’aboutissement de cette théorie (p. XXV-XXXIII). Afin de faire comprendre le plus clairement possible le fonctionnement de la doctrine des ideai telle qu’elle a été fondée par Hermogène à partir de l’observation des textes de Démosthène – « l’auteur qui entre tous a employé le discours le plus diversifié et où se mêlent presque toutes les ideai » (De ideis, I 1, 7) –, Patillon adopte un plan extrêmement limpide, qui correspond au plan du traité luimême. Rappelant que « chacune des ideai est le produit d’un certain nombre de composants ou d’éléments stylistiques de premier niveau, dont le total peut aller jusqu’à huit » (p. XXXIV), il énumère et analyse finement chacun de ces éléments premiers (st???e?a) du style, qui se répartissent entre le contenu (la « pensée » et la « méthode à propos de la pensée ») et l’expression (« l’expression ou les mots », la « figure », le « côlon », « l’arrangement ou l’assemblage des mots », la « pause » et le « rythme ») (p. XXXIV-LXI). Il aborde ensuite l’analyse individuelle de chacune des vingt ideai du système hermogénien. Il existe sept ideai principales (« clarté », « grandeur », « beauté », « vivacité », « éthos », « sincérité » et « habileté »), parmi lesquelles certaines subsistent en elles-mêmes, d’autres dépendent de l’existence d’ideai de deuxième rang avec lesquelles elles sont dans une relation de genre à espèce, puisque « le caractère qui définit l’idea principale se retrouve partout dans chacune des ideai de deuxième rang » (par exemple, la « pureté » et la « netteté » sont deux espèces de la « clarté »), et d’autres encore sont faites d’ideai « qui ont une ou plusieurs parties en commun » (ce sont l’« éthos » et la « sincérité ») (p. LXIII). Dans la seconde partie de son traité, Hermogène fournit une analyse critique de modèles littéraires – Démosthène, Platon et Homère étant les trois chefs de file principaux – permettant une imitation plus ou moins raisonnée de leurs productions. Les Prolégomènes au De ideis (p. 1-20) et les Synopses des exposés sur les Ideai (p. 241-254) sont deux pièces aux dimensions beaucoup plus réduites et dont l’intérêt a surtout valeur de témoignage – les Synopses, rédigées par un professeur qui les joignait à son enseignement, instruisent à cet égard sur la pratique pédagogique qui accompagnait le commentaire magistral des traités. Comme on le voit, la doctrine des ideai construit et définit des catégories stylistiques pour les opposer les unes aux autres, les faire jouer les unes avec les autres, et les unes contre les autres : il importe à cet égard de saluer l’immense qualité de la traduction française de Patillon, qui, par sa limpidité, sa précision et sa fidélité à un original grec instituant un vocabulaire, une nomenclature et des distinctions subtils, permet de percevoir avec acuité la richesse des analyses hermogéniennes. « Structuralisme avant la lettre », « fondamentalement analytique (puisqu’) elle ressaisit dans un système d’oppositions la multiplicité des détails dont elle fait état et qui acquièrent ainsi leur valeur relative » (p. CXXXIII), la doctrine des ideai se voulait non seulement un outil d’analyse stylistique permettant de juger les oeuvres, mais aussi une poétique, puisqu’elle permet de composer soi-même des discours : j’ajouterai qu’elle est un instrument indispensable aux modernes qui souhaitent comprendre et analyser les productions littéraires de l’Antiquité en abordant celles-ci – comme il se doit – à partir de leurs propres conditions de production.

F. Woerther