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Ce livre de Madame Dutsch se rattache à la socio-linguistique. La chercheuse a été interpellée par les gloses de Donat, dans son commentaire à Térence, sur la conduite linguistique propre aux femmes, qui, outre l’adoption de jurons qu’elles sont seules à utiliser comme « Par Castor », signale comme caractéristiques : aliis blandiri (parler à autrui de façon caressante) et se commiserari (se plaindre). C’est pourquoi elle a voulu, après avoir identifié les manières de parler féminines, dévoiler les structures de pensée circonscrivant l’identité féminine dans la palliata romaine, et après cela, les analyser à la lumière d’autres discours, anciens et modernes, sur le « féminin ». Aussi examine-t-elle deux types traditionnels dans la comédie, l’ensorceleuse de Plaute qui peut transformer un homme en mulierosus et la « femme-qui-pleure ». Elle explore ensuite le concept romain de genre tel que l’affaire des Bacchanales permet de le déceler. Finalement elle compare tout cela aux méthodes rhétoriques et philosophiques pour construire l’altérité, en convoquant aussi bien penseurs anciens que modernes. Ce sont les théories de Luce Irigaray qui lui paraissent expliquer le mieux les faits. Chemin faisant, après avoir déterminé comment parlent les femmes selon les conceptions romaines, elle scrute ce que les auteurs veulent signifier lorsqu’ils donnent un langage d’homme à une femme ou un langage de femme à un homme. Elle tire également des conclusions sur la manière dont étaient perçus les acteurs.
Ce livre vaut la peine d’être lu, pour la grande culture de l’auteur qui non seulement connaît parfaitement la comédie romaine, mais utilise également avec maestria nombre de sources antiques ou modernes. Cette recherche séduit aussi par son intelligence. Le sujet n’est pas facile. On sait, en effet, que les auteurs de palliatae suivent des modèles grecs ; ce que disent les personnages féminins de Plaute et de Térence provient-il de la néa ou est-ce une innovation des dramaturges latins ? Le livre, qui est subtil, puisqu’il s’agit d’étudier des discours de femmes écrits par des hommes et par là‑même le discours de ceux-ci sur les femmes, est stimulant et incite le lecteur à aller plus loin et à se poser d’autres questions encore. Par exemple, pourquoi ne pas se demander si par rapport aux répliques attribuées aux hommes, celles attribuées aux femmes contiennent plus de substantifs, plus d’adjectifs, plus de verbes, etc.? Sont-elles davantage construites en parataxe ou en hypotaxe ? Les modes verbaux utilisés par les représentants des deux sexes sont-ils les mêmes ? Quelles remarques peut‑on faire en matière de métrique ? Puisque cette universitaire affirme que les femmes sont vues comme « idiosyncrasiques » et abolissant les barrières interpersonnelles, n’aurait-elle pas dû commencer par regarder si elles employaient plus la première personne du pluriel ou la première personne du singulier ?
Par ailleurs, il existe d’autres textes latins écrits par des hommes et mis par eux sur les lèvres de femmes : les Héroïdes d’Ovide (du moins, la plupart), par exemple. Il y a des personnages féminins dans les tragédies de Sénèque. Des comparaisons auraient pu se révéler intéressantes. Les discours prêtés aux « personnes du sexe », comme on disait autrefois, diffèrent-ils selon les genres littéraires, selon les écrivains ou selon les époques?  Et pourquoi ne pas examiner la façon dont s’exprime Sulpicia, poétesse qui parle en son nom propre dans le corpus Tibullianum ? Tout cela aurait pu être évoqué en conclusion.
L’ouvrage se termine par une ample bibliographie, un index général très bien fait et un index locorum extrêmement complet. Il n’est pas exempt de fautes d’impression, mais cela n’entache pas sa valeur.

Lucienne Deschamps