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Comme l’indique un avant-propos concis mais précis, cet ouvrage collectif s’inscrit dans le prolongement d’une dynamique de recherche qui peu à peu renouvelle l’approche historique et archéologique des périphéries urbaines antiques. Ces zones d’interface entre ville et campagne, sortes d’entre deux, sont ici abordées à l’échelle du bassin méditerranéen et sur un intervalle chronologique allant de la Protohistoire à l’Antiquité grecque et romaine. Les quinze contributions sont partagées en quatre parties à vocation introductive ou thématique, dans une édition de bonne facture à quelques illustrations de qualité moyenne près.

La première partie – Espaces urbains et périurbains : définitions et états de la question – débute avec un article signé par les deux coordinatrices et qui sert à proprement parler d’introduction. Elles y dressent un véritable état des lieux, en s’appuyant sur les travaux publiés depuis la fin des années 1990 et les réflexions qui en découlent et en partageant leur propos entre mondes grecs et indigènes d’une part et Occident romain d’autre part (p. 15-26). Cette entrée en matière qui définit bien les problématiques est prolongée par une discussion de Julien Du Bouchet sur « le vocabulaire du périurbain en grec ancien ». Après avoir opportunément rappelé que le mot français « périurbain » est un néologisme, l’auteur inventorie plusieurs termes, dont celui de proasteion qui désigne à partir du Ier s. ap. J.-C. l’espace suburbain, mais dont la définition était bien moins précise auparavant (p. 27-32). Dans la contribution suivante, Bastien Lemaire développe à nouveau, de manière un peu académique, des questions d’ordre sémantique ou de définition archéologique du « périurbain antique ». Il illustre ensuite son propos par l’exemple de fouilles récentes conduites à Pompéi et à Cumes ou par le cas de Marseille grecque, qui l’amènent à mesurer la complexité des franges urbaines et à suggérer quelques pistes de recherche (p. 33-42).

Dans la deuxième partie – Urbain et périurbain : la protohistoire récente –, les deux premiers articles mettent à l’honneur l’Europe celtique. Michel Py disserte ainsi sur les oppida des Gaulois du Midi, en restreignant cependant son propos au Languedoc oriental où se trouvent, il est vrai, les agglomération protohistoriques méridionales parmi les mieux documentées dont Lattes et Nîmes. De ce bilan ressort une image de la périphérie urbaine qui n’est somme toute guère différente de celle des villes d’époque romaine, même si des nuances s’observent suivant les périodes et les lieux (p. 45-57). Ce fait est confirmé avec Stephan Fichtl qui traite quant à lui des oppida plus septentrionaux, en donnant une place significative à ceux localisés au sein des territoires gaulois. Dans leur périphérie prennent place principalement, mais là encore avec des nuances, des nécropoles et certaines activités artisanales et, à plus ou moins grande distance, des établissements ruraux, dont certains à caractère aristocratiques (p. 59-83). L’exemple de Chypre entre les IXe et IVe s. av. J.‑C., soit à l’âge du Fer, est ensuite développé par Sabine Fourrier. Les lacunes documentaires sont ici importantes, aucun plan de ville n’étant connu et leurs limites étant en outre mal définies, ce qui rend évidemment malaisée toute appréhension de la périphérie. Quelques sources iconographiques et archéologiques permettent cependant d’établir une série de remarques préliminaires sur cette question (p. 85‑95).

La troisième partie – Le périurbain : cultes et nécropoles – s’ouvre sur deux articles consacrés à l’époque grecque archaïque. Dans le premier, Despina Chatzivasiliou évoque la construction des relations entre Athènes et Éleusis, distantes d’une vingtaine de kilomètres mais reliées par la Voie Sacrée et les processions en lien avec les Mystères propres au culte de Déméter. Fabrication de mythes, utilisation de l’iconographie et édification de monuments entrent en jeu pour accompagner la structuration territoriale de l’Attique, mais la question des rapports directs entre urbain et périurbain reste ici quelque peu secondaire (p. 99-112). Dans le second article, Isidoro Tantillo s’intéresse aux sanctuaires périphériques de Déméter dans la Sicile archaïque – qui auraient mérité des plans disposant d’échelles et d’orientations –, en insistant sur leur rôle social et territorial tout en dressant un bilan des rituels et dépôts d’offrandes attestés en ces lieux (p. 113-128). La question des rituels est également abordée par Ludivine Péchoux, avec une étude cas consacrée aux sanctuaires bien documentés de l’Altbachtal et de l’Irminenwingert en périphérie de la ville de Trèves (p. 129-134).

Les deux derniers articles traitent des nécropoles, composantes importantes des périphéries urbaines. Sabine Lefebvre utilise ainsi des sources juridiques et épigraphiques pour livrer d’intéressantes réflexions sur la propriété du sol, privée ou publique, avec, dans ce dernier cas, la possibilité pour les édiles municipaux de concéder à certains notables des terrains à usage funéraire (p. 135-142). Valérie Bel propose ensuite une approche plus archéologique, en synthétisant les nombreuses données acquises ces vingt-cinq dernières années sur la périphérie de la ville de Nîmes, afin d’esquisser une géographie funéraire entre le Ier s. av. n. è. et le IIIe s. de n. è. Elle met ainsi en évidence des transformations de ce qu’elle appelle justement un « système funéraire », qui sont éclairées par des cartes et des plans de détail de belle qualité (p. 143-158)

La quatrième partie – L’animal dans l’urbain et le périurbain – constitue la pièce la plus originale de l’ouvrage. La première contribution est à nouveau consacrée à Nîmes, confirmant l’exemplarité de cette ville de Narbonnaise où l’archéologie préventive s’est tout autant développée à l’intérieur des murs de la vaste enceinte augustéenne qu’à l’extérieur. Audrey Renaud y présente une première synthèse sur l’élevage, les réseaux de distribution de la viande et sa consommation au Haut-Empire, entre campagnes, franges urbaines et centre-ville (p. 161-174). La présence des animaux domestiques, attestée par l’archéologie à l’intérieur de cette ville de Nîmes, trouve d’intéressants parallèles dans les deux articles suivants. Christophe Chandezon utilise ainsi les sources littéraires pour dresser un tableau “vivant” de la population animale évoluant dans les villes grecques et leurs abords, de sa diversité ainsi que des problèmes de gestion qu’elle peut engendrer (p. 175-184). Noémie Gautier présente quant à elle le cas de Pompéi, en s’appuyant sur les représentations animales sur mosaïques et enduits peints ainsi que sur quelques données archéozoologiques et archéologiques et en insistant sur leur présence au sein des domus et de leurs jardins (p. 185-200)

Les quinze articles rassemblés dans cet ouvrage présentent globalement une cohérence que n’offrent pas toujours certains thèmes ainsi traités sur le temps long. La question du périurbain traverse en effet les civilisations et les époques, dès lors que des villes existent. Dans le cas présent, la cohérence est renforcée par le cadre géographique et culturel tel qu’il a été défini, soit un bassin méditerranéen marqué par de multiples contacts entre peuples indigènes, Grecs et Romains. Au débouché, cet ouvrage, indispensable à tout archéologue ou historien intéressé par le fait urbain, confirme la diversité des formes d’occupation et d’utilisation des franges urbaines et en enrichit la connaissance. Pour autant, plusieurs auteurs ont à juste titre souligné la nécessité de disposer d’une chronologie plus précise et d’investigations plus amples, de manière à mieux en mesurer les évolutions. En effet, les limites des ces périphéries, d’ailleurs souvent difficiles à identifier, peuvent fluctuer au rythme des expansions et rétractions de la ville, entre urbanisation et désurbanisation.

Martial Monteil

Mis en ligne le 25 juillet 2017