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Les années chaotiques qui aboutirent à la guerre civile César-Pompée ont fait l’objet, de Mommsen à 2010, de très nombreuses études. Le point de vue de L. Gaglardi est celui, original, d’un historien du droit, qui reprend le dossier à partir d’une lecture nouvelle des textes anciens.
Le chap. I rappelle la situation juridique initiale. Les accords de Lucques avaient prolongé pour 5 ans le proconsulat de César, et accordé à Pompée d’être à la fois consul en 55 et proconsul des Espagnes pour 5 ans, avec l’autorisation de rester en Italie – ce qui lui permit d’être consul en 52. Consul en 59, César ne pouvait l’être à nouveau qu’à partir du 1er janvier 48 et devait être présent à Rome dès mars 49 pour candidater, en simple citoyen, donc en situation de faiblesse, à partir du 1er juillet. Il ne pouvait l’éviter qu’en restant proconsul jusqu’à fin 49 et donc en étant autorisé à candidater in absentia.
Ce qui engendrait obscuritas quaedam (Cicéron), c’est la date à laquelle s’achevait le proconsulat de César. Le débat, traité au chap. II, fait toujours rage chez les modernes. Une chose est sûre : les deux mandats successifs de César devaient durer chacun 5 ans. Et il ressort des textes, d’une part que le premier mandat venait à échéance le 1er mars 54, d’autre part que le sénat ne pouvait s’emparer légalement de la question de la succession de César avant le 1er mars 50. Ce dernier point devait être spécifié dans la lex notes de lecture 283
Pompeia Licinia de 55, mais non la date de la fin du second mandat ; cette imprécision est la cause première du litige. César interpréta la loi comme signifiant que son proconsulat pouvait durer jusqu’à fin 49, puisqu’il arrivait à échéance au bout de dix ans le 1er mars 49 et que l’usage était de maintenir en charge les proconsuls jusqu’à la fin de l’année. Pompée, lui, considérait que le second mandat avait commencé à la date de promulgation de la loi ; et comme il proposa en avril 50 comme compromis que le mandat de César s’achevât le 13 novembre 50, L. Gaglardi en induit, de manière très probable, que cette promulgation avait été faite à mi-chemin entre les deux dates défendues par chacun, c’est-à-dire fin juillet 55. L’incertitude sur l’échéance des proconsulats des « triumvirs » – Crassus était concerné par la dite loi – s’aggrava de la mort prématurée de celui-ci et de ce que Pompée, en 52, fit prolonger son proconsulat de 5 ans.
En février 52, César fit passer le plebiscitum X tribunorum (chap. III) qui l’autorisait à postuler au consulat in absentia, en contrepartie du fait qu’il ne s’était pas opposé à l’octroi du consulat unique à Pompée, si illégal qu’il fût. En retour, Pompée laissa passer le plébiscite. Celui-ci, selon Suétone, autorisait César à être candidat « quando imperii tempus expleri coepisset » ; apparemment aucune date n’était précisée.
Au début du printemps 52 Pompée introduisit la lex Pompeia de prouinciis (chap. IV) qui imposait un intervalle de 5 ans désormais entre consulat et proconsulat. Destinée à combattre la corruption, elle est généralement interprétée comme dirigée contre César. Mais, selon L. Gagliardi, entre le sénatusconsulte pris fin 53 et sa conversion en loi en 52 eut lieu une modification du texte résultant d’un compromis entre les dynastes : elle autorisait en effet – chose nouvelle – les tribuns à opposer leur veto aux décisions du sénat sur l’attribution des provinces. César se garantissait ainsi du risque de se voir imposer un successeur dès le 2 mars. Encore au printemps 52 intervint la lex Pompeia de iure magistratuum (chap. V) qui, d’après le discours de M. Claudius Marcellus (cos. 51) rapporté par Suétone, abrogeait le plebiscitum X tribunorum : il était désormais interdit de postuler in absentia ; Pompée avait « oublié » d’en exempter César et il avait corrigé ensuite son erreur, alors que la loi était iam in aes incisa et in aerarium condita. L. Gagliardi rappelle l’iter des lois : rogatio affichée (promulgatio) pendant un trinunundinum (24 jours ?), puis inscription éventuelle sur le bronze et dépôt d’une copie dans l’aerarium. En 62 s’ajouta l’obligation d’y déposer aussi une copie de la rogatio aussitôt affichée ; or, quand on prévoyait qu’elle ne subirait pas de modification, l’usage s’était répandu de l’inscrire directement dans le bronze. L’auteur reconstitue ainsi la séquence : Pompée avait omis volontairement d’exempter César dans la rogatio initiale ; puis, sous la pression des Césariens, il a introduit dans son texte une modification – opération courante et légale – avant le vote de la loi, mais alors que le texte de la rogatio avait déjà été incisé et déposé. Dion Cassius permet de préciser la nature de cette correction : sans nommer César, elle spécifiait que toute demande de candidature in absentia devait recevoir l’approbation du sénat. César se crut assuré de l’avoir le moment venu, puisque Pompée avait le sénat bien en mains et que leurs rapports n’étaient pas encore dégradés.
C’est cette dégradation que retrace le chap. VI. Elle commence par l’attaque, avortée, du consul Marcellus évoquée supra, demandant que César abandonne sa charge pour mars 50. En juin 51, sans que César ait candidaté, furent élus C. Marcellus, ennemi de César, et Aemilius Lepidus Paulus, bientôt soudoyé par César. La question de la succession de César revint dans l’été, sans issue, en raison du veto des tribuns. En septembre, pour la première fois, Pompée manifesta ouvertement son hostilité à une candidature de César in absentia, tandis qu’un sénatusconsulte décidait, sans opposition tribunicienne, qu’il serait débattu de la succession de César à partir de mars 50. Fin mars 50, Curion propose que César et Pompée abandonnent simultanément proconsulat et armée – pure démagogie : Pompée, dont la charge courait jusqu’en 47, n’avait aucune raison d’accepter. Pompée répliqua avec la proposition, examinée supra, que le mandat de César s’achevât le 13 septembre. Mais, en juin, le sénat, en l’absence de Pompée, autorisa César à se présenter en conservant province et armée. César ne profita pas de l’occasion : il ne voulait pas perdre une année de proconsulat et surtout, comme il ne pouvait plus avoir, en raison de la nouvelle loi, un proconsulat aussitôt après, il se serait retrouvé le 1er janvier 48 simple citoyen, quand Pompée conservait sa charge encore un an. La confusion atteignit un ridicule pathétique quand, le 1er décembre 50, le sénat vota coup sur coup d’envoyer un successeur immédiatement à César et que César et Pompée abandonnent simultanément leur commandement respectif. Aucune des propositions d’arrangement envoyées ensuite par lettres par César ne fut acceptée : Pompée avait décidé de faire plier César. Pour sortir de l’aporie créée par les deux leges Pompeiae de 52, dont l’une soumettait l’assignation des provinces au contrôle tribunicien et l’autre la candidature in absentia à l’autorisation du sénat, les consuls de 49, hostiles à César, tranchèrent le noeud gordien en faisant voter le senatusconsultum ultimum.
La reconstitution des faits proposée par L. Gagliardi, d’une extrême rigueur, est très convaincante. Son apport est dans l’interprétation nouvelle qu’il propose sur trois points essentiels : César n’a jamais eu l’idée de candidater in absentia à un autre moment qu’en 49 ; la lex Pompeia de prouinciis est en réalité un compromis, non le premier froissement entre les deux hommes ; la lex Pompeia de iure magistratuum aussi, mais consenti in extremis et de mauvais gré par Pompée. Surtout ces lois, résultat d’un « bricolage » juridique, généraient un blocage institutionnel.

Paul M. Martin