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Ce petit ouvrage, dédié au limes de Moesia I, sur la rive serbe du Danube entre Singidunum (Belgrade) et Taliata (Donji Milanovac) dans le Djerdap (en amont de Drobeta), se propose de dresser un état des ouvrages militaires tardo-antiques et des maigres sources épigraphiques et historiques dont on dispose pour retracer l’histoire de cette frontière au IVe siècle. Il est écrit par deux universitaires roumains spécialistes d’archéologie militaire et se présente comme un catalogue précédé d’une courte synthèse divisée en deux parties : 1- Les éléments matériels de la frontière (p. 5-35) ; 2-Les troupes (p. 36-49). Suivent un catalogue d’inscriptions, essentiellement des tuiles estampillées, un index des noms propres d’officiers et de soldats, une liste des troupes mentionnées dans la Notitia Dignitatum, les plans des sites et du matériel associé, quand il y en a.

Tel qu’il se présente, cet ouvrage offrira des services au lecteur non spécialiste qui connaît mal cette région et cette époque. Il rassemble en effet des matériaux déjà publiés mais assez dispersés ou difficiles à trouver dans la plupart des bibliothèques, notamment en France. Il propose donc une synthèse utile et, à ce titre, on peut conseiller son achat. Il présente toutefois quelques gros défauts, qu’il faut bien relever. On soulignera tout d’abord la médiocrité de l’illustration mais aussi celle de l’impression, bien fâcheuse pour un catalogue archéologique. L’éditeur aurait pu faire le petit effort de légender directement ses figures, au lieu d’obliger à un perpétuel va-et-vient entre celles-ci et la table qui les accompagnent. On aurait d’ailleurs souhaité que les appels aient été mieux contrôlés. On aurait même pu espérer un véritable catalogue associant texte, illustrations et références. Et fallait-il vraiment que les illustrations du commentaire et celles du catalogue portent la même numérotation et fussent appelées de la même manière, ce qui oblige en permanence à feuilleter le livre puisque les figures ne sont pas insérées dans le texte ? Quant à la bibliographie, son classement thématique ne permet pas toujours une consultation commode quand on cherche une référence.

Sur le fond, on aurait aimé un commentaire un peu plus développé, faisant clairement état des transformations subies par cette frontière depuis le milieu du IIIe siècle. La chose n’était pas difficile, puisque N. Gudea est lui-même l’auteur d’une synthèse sur ce même secteur, considéré dans ses frontières de 101 ap. J.-C. (N. Gudea, Die Nordgrenze der römischen Provinz Obermoesien. Materialen zu ihrer Geschichte (86-275 n. Chr.), Jahrbuch des römisch-germanischen Zentralmuseums Mainz, 48, 2001, p. 3-118) que le lecteur fera bien de consulter avant de lire le présent ouvrage. Il y retrouvera en effet une grande partie des plans, mais dans une composition soignée, chez un bon éditeur. Le spécialiste, pour sa part, continuera de consulter avec profit le colloque édité par P. Petrović (éd.), Roman Limes on the Middle and Lower Danube, Belgrade, 1996.

La matière, il est vrai, n’est pas aisée. Comme le rappellent à juste titre les auteurs, l’état de notre documentation archéologique sur cette région, déjà mauvais quand il s’agit du haut Empire, l’est encore davantage quand il s’agit de l’Antiquité tardive, une période pourtant riche de vestiges divers, mais souvent trop anciennement fouillés. Quelques commentaires étonnent dans ce contexte : p. 12, les auteurs semblent considérer les portes comme inutiles dans les petits castella, en raison de leur organisation et de la taille des garnisons. Mais comment entrait-on, par les fenêtres ? On nous permettra de penser plus simplement que des structures arasées et des plans presque toujours anciens et très sommaires ne permettent pas de restituer commodément les circulations. On contestera en outre l’usage du terme quadriburgium/quadriburgia, élevé facilement, comme c’est trop souvent le cas, au rang d’un type bien daté de l’époque tétrarchique. Rappelons tout d’abord que le terme n’apparaît guère en latin, sauf dans un usage toponymique ; ensuite que ce type de forme est beaucoup plus ancien puisqu’il remonte au Principat en Égypte, où les routes du désert oriental en sont truffées. On nous permettra, sur ce sujet, de renvoyer à notre publication en ligne récente (http://books.openedition.org/cdf/5163 DOI : 10.4000/books.cdf.5163). Il est toutefois juste de dire que, dans ce cas, les tours d’angle sont nettement moins massives que dans le cas des supposés “quadriburgia” tardifs.

On ne partagera pas non plus l’idée, exprimée p. 12 et 14, selon laquelle les assises de réglage en briques ou tuiles des remparts n’apparaissent que vers la fin du IIIe siècle. La technique est en effet déjà utilisée dans l’enceinte urbaine de Toulouse, datée de l’époque tibéro-claudienne (R. De Filippo, Nouvelle définition de l’enceinte romaine de Toulouse, Gallia, 50, 1993, p. 181-204). Les fouilles récentes du camp militaire de Strasbourg (G. Kuhnle, monographie à paraître) viennent de confirmer que le rempart de pierre a bien été édifié dès le IIe siècle avec cette technique. On doit donc cesser définitivement de la considérer comme tardive et d’en faire un critère d’attribution chronologique.

Enfin, sur les ouvrages linéaires du Banat, à l’extérieur du limes, il n’eût pas été superflu de citer l’ouvrage de J. Napoli, Recherches sur les fortifications linéaires romaines, Coll. EFR, 229, 1997. Mais ces ouvrages doivent-ils figurer nécessairement dans une réflexion sur le dispositif défensif de l’Antiquité tardive ? La question n’est toujours pas tranchée, comme le reconnaissent eux-mêmes les auteurs.

Michel Reddé, École pratique des Hautes Études

Publié en ligne le 12 juillet 2018