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Excellent connaisseur de la littérature gromatique, J.-Y. Guillaumin rassemble dans ce livre sept articles denses et très riches, qui affrontent des fragments du corpus parmi les plus difficiles. L’A. prend en compte toutes les occurrences des mots étudiés, et pour décrypter les termes techniques insolites recherche leur équivalent grec et ses avatars phonétiques et paléographiques ; les textes cités sont presque tous traduits.
« La notice Arretium du Liber coloniarum I » traite du rapport entre la taille des bornes et la distance qui les sépare ; la transcription qu’en donne l’éditeur Lachmann est faussée et plusieurs chiffres manipulés. En rétablissant les leçons des ms, J.-Y. G. insère la notice d’Arretium dans la norme des autres colonies de la Prouincia Tuscia.
Dans « Ager Spoletinus, ager Cingulanus, ager Potentinus et territoire d’Interamna dans les Libri coloniarum : les étapes de la détérioration d’une notice administrative », l’A. analyse le processus qui, d’une notice gromatique concise à l’origine, conduit à son enrichissement factice par les copistes à l’aide de gloses, et par un enchaînement d’erreurs, de corrections et de nouvelles gloses, aboutit à la rédaction de notices dérivées n’ayant plus de fondement historique.
Pour J.-Y. G., les « Équivalences approxi-matives entre superficies de subsécives et superficies de centuries (Liber coloniarum I, p. 213 l. 1-3 Lachmann) » que pose la loi triumvirale pour le partage des terres en Étrurie témoigneraient d’une mesure compensatoire lors de la distribution de terres ingrates, dans le cas particulier de centuries de 50 jugères. Ingénieuse, l’hypothèse est cependant difficile, et dans le cadre de cette lex agris limitandis metiundis c’est vraisemblablement d’une prescription technique qu’il s’agit. Les subseciua maior et minor sont dénoncés à juste titre comme « monstres gromatiques », mais l’assignatio maior aurait dû l’être également, résultat d’une mauvaise interprétation, dès l’Antiquité, d’un passage de Frontin (Lachmann 7, 1-6) affirmant qu’une centurie amputée d’une partie de sa surface conserve son nom dès lors qu’elle est assignée — et non l’inverse, ce que confirme le même auteur en 30, 21-22.
Dans sa « Note sur la notice gromatique Prouincia Lucania conservée dans le ms de Reims 132 », l’A. analyse avec acuité et érudition les six lignes et dix figures gromatiques légendées (marqueurs de limites) de ce folio des VIe-VIIe s., mais aussi les gloses médiévales, suggère des filiations entre ms et propose des décryptages lexicaux convaincants.
« Un texte tardif du corpus gromatique latin : l’Expositio limitum uel terminorum » est identifié comme l’oeuvre d’un érudit de double culture grecque et latine, classique et technique, largement inspiré des gromatiques Faustus et Valerius, Latinus et Siculus Flaccus. J.-Y. G. y décèle deux terminus post quem de la fin du Ve s. ; la traduction proposée pour plusieurs termes barbares (samartia, cihiamellus, Asion…) est ici parfois difficile.
« Limes maritimus, limes montanus, limes Gallicus » : en dépit du témoignage largement concordant des textes gromatiques classiques et tardifs, l’A. ne croit pas que ces limites aient pu se croiser sur les mêmes territoires : les premiers ne se trouveraient que sur le littoral, les seconds dans les régions montagneuses ; mais l’hypothèse repose sur la leçon d’un seul ms et sur une lecture discutable des textes.
Enfin, étudiant « Les subseciua dans les textes gromatiques : sens du terme et références politiques et idéologiques », l’A. observe l’apparition du mot ‘subsécive’ dans la langue littéraire imagée, commente les quatre textes gromatiques qui évoquent son étymologie, et met en évidence l’évolution dans le temps des commentaires sur la politique agraire des empereurs flaviens.

Anne Roth Congès