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Ce gros ouvrage constitue une version augmentée de la thèse de doctorat de S. Huysecom-Haxhi. Il présente un lot important de figurines de terre cuite exhumées lors des fouilles de l’Artémision de Thasos, effectuées à plusieurs reprises durant le XXe siècle d’abord par T. Macridy-Bey puis par l’École Française d’Athènes. Ce sanctuaire important de Thasos a fonctionné de l’époque archaïque à l’époque impériale. S. Huysecom‑Haxhi fait ici paraître une étude de ses figurines d’époque archaïque, sans prendre en compte les protomés qui feront l’objet d’une autre publication, également prévue pour regrouper les exemplaires des périodes plus récentes. Le travail fourni est admirable. Avec beaucoup d’à propos, S. Huysecom-Haxhi met en application la méthode de travail que A. Muller avait élaborée pour étudier et publier les terres cuites du Thesmophorion de Thasos {{1}}, et envisage les figurines comme des productions de séries et non plus comme les pâles reflets d’oeuvres artistiques. S. Huysecom-Haxhi ne rejette cependant pas d’autres approches puisqu’elle s’inspire également des travaux de F. Croissant sur la reconnaissance des styles et des centres de production de la Grèce archaïque {{2}} . Ce double héritage lui permet ainsi d’appréhender ces objets de manière globale. Le lot comprend 3130 fragments (après collages) et forme l’ensemble de figurines archaïques le plus important de toute l’île. L’essentiel de l’ouvrage est constitué du catalogue qui donne la description des fragments jugés les plus pertinents pour la compréhension de la production, accompagnée d’une description des types auxquels ils se rattachent, suivie d’une étude très approfondie des techniques de fabrication (prise en compte de la production dérivée et de l’organisation des séries, des caractéristiques de production, des caractéristiques de facture) et enfin d’une étude des éléments de datation et des parallèles qui permettent de reconstituer l’aire de diffusion de chacun d’entre eux. Ce catalogue n’est donc pas conçu sous une forme traditionnelle et contient bien plus qu’une simple description ordonnée des objets. Le travail fourni est particulièrement minutieux et l’auteur parvient à mettre en évidence un grand nombre de procédés techniques. On peut ainsi appréhender au plus près les méthodes de travail des coroplathes thasiens ainsi que les modes d’organisation du travail dans leurs ateliers.
Le catalogue est précédé d’une première partie qui donne, en une trentaine de pages, des éléments d’information sur les fouilles de l’Artémision et les contextes de trouvaille (mais ces derniers ne sont pas toujours connus et n’ont pas encore été étudiés quand ils le sont {{3}}), évoque les procédés de fabrication et présente la méthode suivie. Le classement des figurines dépend du lieu de leur production, puisque si le matériel comprend une part importante de terres cuites thasiennes, un nombre non négligeable provient d’ateliers du Sud de l’Ionie, et l’on compte aussi quelques exemplaires originaires de Chios, d’Athènes et de Corinthe. On aurait aimé que les différents types iconographiques représentés soient plus nettement décrits, d’autant plus que la désignation des types et des exemplaires catalogués fait disparaître toute référence à l’iconographie. S. Huysecom‑Haxhi a préféré adopter un code de classement alphanumérique relativement compliqué, qui permet certes de situer la figurine à l’intérieur de sa série, mais qui ne facilite pas la consultation de l’ouvrage car le lecteur ne sait pas toujours de manière immédiate quelle était l’apparence des exemplaires. Les illustrations ne l’y aident pas toujours, malgré la très grande qualité des photographies, puisque les types ne sont pas reconstitués graphiquement bien qu’ils soient à la base de toute la classification. Quand les exemplaires sont bien conservés leur apparence est connue, mais ce n’est pas le cas lorsqu’ils sont fragmentaires et l’on ne dispose alors que des descriptions pour s’en faire une idée.
L’ouvrage se termine par une partie conclusive d’une cinquantaine de pages qui traite successivement de la nature et de la signification des figurines offertes à Artémis, puis du travail et des sources d’inspiration des artisans thasiens. Comme il est fréquent, le premier point ne permet pas d’aboutir à des conclusions bien fermes, car le répertoire des figurines de terre cuite n’est pas vraiment déterminé par l’identité de la divinité à laquelle elles étaient consacrées. C’est le fidèle qui savait pour quelle raison il offrait en priorité telle ou telle image et il n’est pas certain que ses choix aient été systématiquement raisonnés. Il est bien entendu possible d’expliquer la présence de certains des types iconographiques par la personnalité d’Artémis, mais la grosse masse des figurines était des personnages féminins que l’on trouve partout. Beaucoup de ces exemplaires avaient d’ailleurs été fabriqués à l’extérieur de Thasos, indépendamment de la façon dont ils allaient être utilisés. S. Huysecom‑Haxhi prend néanmoins position dans un débat ancien qui porte sur l’identité des personnages représentés : les figurines de terre cuite étaient‑elles des images de divinités ou celles de simples mortels ? La deuxième hypothèse a ses faveurs ; on la suivra sans réserve car les images divines sont régulièrement accompagnées d’attributs spécifiques, éléments d’un langage symbolique qui assure la reconnaissance explicite et l’identification immédiate des divinités. Or ils sont absents ici. Elle propose aussi de reconnaître dans les types iconographiques les plus diffusés une évocation des différentes étapes de la vie et du statut des individus, ce qui paraît aussi convaincant. Les femmes trônant renverraient ainsi au statut de la femme mariée et les korès à la virginité. Le deuxième chapitre porte sur les coroplathes thasiens et prend en compte le processus de la création artistique, la façon dont s’est élaboré leur répertoire iconographique, et dans un second temps le processus de la production artisanale, leurs méthodes et leurs techniques de travail. S. Huysecom-Haxhi montre que dans les deux cas ils ont intégré l’apport de traditions étrangères, aussi bien stylistiques que techniques, et les ont assimilées pour créer leur propre personnalité. Ces quelques pages sont passionnantes et mériteraient sans doute d’être développées, en insistant davantage sur la diffusion et le commerce des terres cuites à travers l’espace méditerranéen. Il manque d’ailleurs des cartes de répartition des figurines, aussi bien pour les types créés par les artisans thasiens, généralement attestés sur des sites du nord de l’Égée proches de Thasos, que pour les types créés dans le Sud de l’Ionie, diffusés dans tout l’espace méditerranéen, ou ceux qui le furent à Athènes et à Corinthe. Les ateliers du Sud de l’Ionie exportaient leurs productions de manière massive et parfois très loin, selon des modalités que le matériel thasien permet peut-être de préciser. Les figurines de terre cuite n’étaient pas des fabrications rares, elles étaient facilement copiées et surmoulées, et l’on peut se demander comment elles pouvaient dégager des marges financières attractives pour ceux qui en faisaient le commerce, parfois sur de très longues distances.
Au total, S. Huysecom-Haxhi nous offre donc les résultats d’un énorme travail. Ils montrent tout l’intérêt d’une démarche scientifique qui traite les figurines de terre cuite autant pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire les vestiges d’un travail artisanal, que pour ce qu’elles représentaient.

Laurianne Martinez-Sève

[[1]]. A. Muller, Les terres cuites votives du Thesmophorion de Thasos. De l’atelier au sanctuaire, Athènes-Paris 1996.[[1]]

[[2]] Notamment, F. C Croissant, Les protomés féminines archaïques, Athènes-Paris 1983.[[2]]
[[3]]L’étude sera menée lors de la publication du reste du matériel.[[3]]