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L’étude d’A. Ingvarsson-Sundström s’intègre dans la collection consacrée au site d’Asinè, en Argolide. Fondée sur une thèse de doctorat, elle se concentre sur les sépultures d’enfants de l’âge du Bronze et l’examen de leurs restes osseux. L’ouvrage comprend également une contribution de H. Soomer dédiée à l’étude anthropologique des dents découvertes à Asinè et à Lerne. Les termes utilisés tels que « enfant », «  fœtus  »  ou  «  néonatal  »  sont  définis  dès  les  premières pages du livre. Le matériel osseux examiné appartient à des individus immatures âgés au maximum de 15 ans et comprend les restes humains de fTmtus. L’âge de ces derniers est estimé en mois lunaires, le neuvième mois lunaire débutant au dernier mois de grossesse.

Un des objectifs d’A. Ingvarsson-Sundström consiste à estimer le nombre minimum d’individus (NMI) à partir de 3 702 ossements  incomplets  ou  complets,  identifiés  comme éléments du squelette humain (p. 34). L’auteur souligne l’état fragmentaire du matériel étudié, dont une partie a été trouvée hors des tombes mésohelladiques. En outre, l’une des difficultés majeures est de mener un  nouvel examen sur un matériel issu d’anciennes fouilles. Outre les ossements humains provenant de Barbouna et du cimetière Est, qui ont été examinés par l’auteur à Nauplie, la majeure partie du matériel osseux étudié a été mise au jour dans la « ville basse » (Lower Town) d’Asinè lors des fouilles suédoises de 1926. Désormais conservé à l’Université d’Uppsala (p. 15), ce matériel se trouve dans plus de deux cents sacs contenant un nombre variable d’ossements (p. 34). Néanmoins, il est difficile  d’attribuer l’ensemble de ces ossements aux individus mentionnés dans la description des tombes publiées en 1938 dans Asine I.

La méthode adoptée par l’auteur pour estimer le NMI, dont certains ne sont représentés que par un ou deux ossements (p. 74), se fonde aussi bien sur le contexte archéologique que sur des critères ostéologiques et dentaires. L’auteur se réfère aux publications et rapports issus d’examens antérieurs menés par C.M. Fürst, J.L. Angel et K. Moberg, ainsi qu’aux indications données dans les carnets de fouille. Selon le contexte archéologique, les ossements qui pourraient appartenir à un même individu, bien qu’il aient été parfois trouvés éparpillés hors des tombes, ont été rassemblés sous la même unité. Les unités archéologiques peuvent compter un ou plusieurs individus. En outre, ce nouvel examen ostéologique et dentaire montre que les restes humains que l’on croyait, dans certains cas, appartenir à un seul individu étaient en réalité ceux de deux individus différents. Le critère ostéologique retenu par l’auteur, qui permet d’estimer l’âge des défunts, est la longueur des os (p. 26-27). Le développement dentaire constitue un autre critère (voir Appendix I). Dans les deux cas, l’usage d’un référentiel est essentiel. Alors que H. Soomer se réfère à la méthode de Schour et Massler (p. 129), on se demande quelle étude prévaut chez A. Ingvarsson-Sundström pour estimer l’âge des défunts d’après les différentes longueurs de diaphyses considérées (voir tableau 4 de la p. 30). Cette précision serait d’autant plus importante que l’auteur établit des comparaisons entre populations de l’âge du Bronze et modernes (chap. V). Se fondant sur la longueur du fémur et celle de l’humérus de respectivement 71 et 74 sujets immatures d’Asinè et Lerne, l’auteur en déduit que les enfants des sites argiens de l’âge du Bronze étaient petits pour leur âge (p. 80).

Pour Asinè, le NMI estimé s’élève à 103 défunts immatures et 36 adultes (p. 18). De cette recherche résulte la présence d’un catalogue d’unités archéologiques (MNI units) placé au milieu de l’ouvrage (voir chap. 3.6, p. 38-71). Ces unités sont constituées d’un ou plusieurs individus. On souhaiterait une exploitation plus approfondie de ces résultats, qui permettrait de comprendre le rapport qui lie ces 77 unités aux 108 tombes mésohelladiques de la Lower Town et de l’acropole qui renfermaient des restes de squelettes et dont 54% appartenaient à des enfants (p. 17). On rappellera que 39 des 105 tombes publiées de la Lower Town contenaient des restes de sujets immatures (p. 6), mais que le tableau 5 de la page 35 montre que l’une d’entre elles est double (MH 88a, MH 88 b) et que, outre les trois tombes situées hors de la Lower Town, une quatrième tombe est encore recensée par l’auteur (Grave 96). Bien que certaines tombes aient compris plusieurs défunts, le nombre de 103 sujets immatures est loin d’être atteint. Une nouvelle carte consacrée à la répartition géographique des 77 unités compléterait les données fournies dans Asine I en 1938 et dans la publication de G. Nordquist en 1987. En outre, si la majorité des tombes découvertes sur la terrasse III de la Lower Town sont datées de l’Helladique Moyen (p. 33, 74), une discussion fondée sur une attribution plus fine des tombes  au sein de la période devrait être envisagée.

Le nombre élevé d’enfants par rapport à celui des adultes est selon A. Ingvarsson-Sundström surprenant, car les enfants forment une catégorie souvent sous-représentée dans le matériel osseux (p. 24). Du point de vue ostéologique, les squelettes d’enfants enfouis dans la terre se conservent moins bien, puisque leurs ossements comprennent un pourcentage plus bas de minéraux et que leur tissu est moins dense que celui des adultes. Bien que l’étude des processus taphonomiques puisse être approfondie, notamment en considérant les travaux de H. Duday, et qu’une recherche plus détaillée sur le traitement des défunts et les gestes funéraires puisse être menée, les recherches entreprises par l’auteur montrent que la prédominance d’enfants inhumés dans la Lower Town d’Asinè semble résulter d’un choix culturel. Le type de tombe utilisé ne semble en tout cas pas avoir influencé  l’état de conservation des ossements, étant donné que le type le plus fréquent relevé dans la Lower Town d’Asinè est la fosse (p. 27), une structure fragile. Reste à déterminer l’ampleur régionale et chronologique de ce phénomène.

Le lecteur peut se reporter aux comparaisons effectuées entre les sites d’Asinè et de Lerne. Plus de 200 tombes ont été mises au jour dans les niveaux mésohelladiques de Lerne (IV-VI). Sur les 234 individus inhumés dans ce site, 132 sont selon Angel des sujets immatures de moins de 15 ans (p. 19), 137 selon A. Ingvarsson-Sundström. De ce fait, l’auteur souligne que le pourcentage d’enfants relatif au corpus d’Asinè est plus élevé que celui de Lerne (p. 73). À Asinè, les individus âgés de plus de 25 ans constituent 32% de la population étudiée. L’auteur, qui s’intéresse à la composante démographique de ces deux sites, établit en outre que le nombre le plus élevé de défunts chez les sujets immatures d’Asinè correspond à la tranche d’âge de 10 mois lunaires à 27 jours. Le taux de mortalité le plus élevé à Lerne concerne la même tranche ainsi que celle d’entre > 3 et 6 mois (p. 88). D’autres petits pics de mortalité sont notés dans les deux sites argiens. Concernant celui de > 4-5 ans, l’auteur émet l’hypothèse d’accidents liés aux activités domestiques, auxquelles les enfants contribueraient dès cet âge (p. 90).

On s’étonnera de ne pas trouver dans cet ouvrage de référence aux recherches menées à Argos par R.-P. Charles (Étude anthropologique des nécropoles d’Argos, 1963), étant donné que ce site comprend des sépultures du Bronze Moyen  et  du  Bronze  Récent.  Afin  de  mieux  comprendre la place de l’enfant dans les sociétés mésohelladiques, les comparaisons pourraient en outre s’étendre hors d’Argolide, notamment à Eutrésis en Béotie (H. goldman, Excavations at Eutresis in Boeotia, 1931). L’auteur préfère toutefois orienter son approche des questions archéologiques selon les études de genre.

Enfin, on  regrettera  l’absence  d’un  catalogue qui expose systématiquement les données ostéologiques de chaque sujet immature. Sous chaque entrée du catalogue, à  savoir  un  individu,  pourraient  figurer  les  dimensions des os examinés, comme il apparaît pour les squelettes d’adultes dans le tableau 9 de l’Appendix II (p. 139), ainsi que l’état de fusion épiphysaire, susceptible de fournir un âge approximatif pour les défunts, ou sur l’épaisseur corticale des os, qui pourrait nous renseigner sur l’état sanitaire des individus. L’absence de mesure corticale est d’autant plus étonnante qu’A. Ingvarsson-Sundström s’intéresse au retard de croissance chez les sujets immatures, qui pourrait résulter d’une maladie ou de malnutrition. On rappellera que l’os cortical est affecté par ces pathologies avant la croissance en longueur des os (p. 82). Malnutrition et maladies pourraient provoquer un retard de croissance chez certains sujets immatures âgés de plus de trois mois (p. 82). Un retard de croissance est d’autant plus probable dans le cas où l’âge donné par l’examen des dents est légèrement plus élevé que celui des os, et pourrait ainsi écarter l’hypothèse d’individus distincts.

Sous l’effet de la maladie, les os réagissent principalement de trois manières différentes, à savoir par la formation de nouveaux tissus osseux, par une résorption osseuse, ou un mélange des deux processus (p. 77). La maladie doit être chronique ou avoir atteint son dernier stade pour affecter le squelette de manière à ce que les lésions deviennent visibles. Les tissus mous sont les premiers à être touchés. En ce qui concerne la Lower Town d’Asinè, l’auteur établit que seulement trois ou quatre sujets néonataux, dont la catégorie d’âge constitue 63% des sujets immatures, présentent des lésions osseuses peut-être causées par la maladie, que trois ou quatre fTmtus/sujets néonataux pourraient présenter de telles lésions, qu’aucun sujet post-néonatal n’en montre et qu’un seul des deux individus âgés de 5-6 ans en témoigne. D’autres sujets immatures inhumés à Barbouna et au cimetière Est présentent aussi des lésions. Pour une description détaillée des lésions osseuses, le lecteur pourra se rapporter à trois exemples d’Asinè (p. 91).

De plus, l’examen des dents approfondi et systématique de H. Soomer révèle que seize individus, immatures et adultes, de ce site présentent une hypoplasie importante de l’émail (p. 131). Des lésions similaires sont observées chez les individus de Lerne. Au total, H. Soomer examine les dents de 29 individus d’Asinè, dont 22 appartiennent à la tranche d’âge allant de 6 mois lunaires à 10 ans, ainsi que celles de 95 individus de Lerne, tous des sujets immatures, dont 86 n’étaient pas plus âgés que 9 ans et demi (p. 93, 125). L’hypoplasie de l’émail dentaire, d’origine acquise ou congénitale, peut être causée par un stress métabolique tel que la malnutrition ou la maladie. A. Ingvarsson-Sundström confirme que les individus jeunes de Lerne ont  souffert d’anémie sévère (p. 95) et que le taux de mortalité élevé d’enfants peut être dû à la malaria (p. 73). En outre, on notera qu’anémie et hypoplasie de l’émail peuvent représenter des syndromes de la syphilis. Le fait que la mère malade puisse contaminer le fTmtus mérite d’être souligné, car cette observation irait dans le sens de l’auteur, qui suppose un mauvais état de santé des femmes d’Asinè et de Lerne. Elle en attribue toutefois la cause à un état de malnutrition (p. 97). En revanche, il est à mon sens impossible de démontrer une répartition inégale de la nourriture en défaveur des femmes. Selon la répartition par âge d’individus de plus de 15 ans d’Asinè (graphique de la fig. 5  à p. 72), la mortalité des femmes renvoie en moyenne à un âge plus jeune que les hommes, mais ce phénomène est principalement dû à la mort, peut-être en couches, de quatre femmes âgées d’entre 16 et 20 ans, sur un échantillon qui comprend plus d’hommes que de femmes. Enfin, on se gardera de supposer que les filles étaient peut-être moins bien nourries que les garçons (p. 123), puisque cette hypothèse ne repose ni sur des sources textuelles de l’âge du Bronze égéen ni sur des analyses ADN et isotopiques récentes.

Pour conclure, on soulignera l’intérêt de l’ouvrage pour la reconstitution d’unités archéologiques à partir du matériel osseux humain d’Asinè, grâce auxquelles A. Ingvarsson-Sundström estime le NMI. Les résultats de son examen ostéologique discutés dans le texte et illustrés par des tableaux et graphiques sont tout aussi importants. De plus, les deux appendices, l’un fondé sur l’étude des dents (H. Soomer), l’autre consacré au matériel osseux de sujets adultes, livrent les données nécessaires pour tout travail futur sur les populations argiennes de l’âge du Bronze.

Laetitia Phialon