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La vie municipale du monde romain bénéficie  d’un  regain  d’intérêt  de  la  recherche depuis deux ou trois décennies, approximativement depuis les travaux de Fr. Jacques et la redécouverte puis la publication en 1986 de la lex Irnitana (AE 1986, 333). Les chercheurs de Clermont-Ferrand sont depuis longtemps conscients du potentiel offert par les inscriptions municipales : la publication discutée dans les présentes pages s’inscrit dans une série de colloques sur l’administration et les élites dirigeantes des cités dont la plus ancienne publication date de 2003 {{1}} , ce qui est rappelé dans l’avant-propos. Ces ouvrages faisaient suite à des travaux personnels plus anciens de M. Cébeillac-Gervasoni et à une rencontre organisée par ses soins et consacrée aux élites italiennes de la République et du premier siècle de l’Empire{{2}}

Cet épais ouvrage rassemble les communications présentées dans le cadre de plusieurs rencontres survenues entre 2007 et 2010 et réorganisées selon un ordre qui permette la progression de la lecture autour de thèmes cohérents : elles émanent de l’équipe de chercheurs de Clermont-Ferrand, mais aussi de chercheurs associés et invités. La Praxis municipale dans l’Occident romain contient quatre parties formées de trente contributions, que les directeurs d’ouvrage ont encadrées d’un avant-propos (p. 11-14) et d’une conclusion intitulée « bilan provisoire » (p. 571-580). Les quatre parties comportent chacune une introduction  spécifique  due  à  L.  Lamoine.  La première commence par envisager la problématique des sources, en l’occurrence « Le quotidien municipal dans certaines sources littéraires » (p. 15-105), puisque le reste des interventions utilise surtout l’épigraphie (cf. p. 17) ; on trouve ensuite : « Les institutions dans les mondes grec et indigène » (p. 107-212) ; « Diverses facettes du monde municipal » (p.  213-390)  ;  enfin  «  Le  quotidien  municipal  et la vie des sanctuaires » (p. 391-570). Divers indices, institutionnel, onomastique, géographique (p. 581-626), une table des illustrations (p. 627-629) et une table des matières (p. 631-634) facilitent les recherches.

Si l’Antiquité romaine concerne la grande majorité des articles, quelques travaux portent sur le monde grec de la partie orientale de l’Empire (p. 113-142) et le Moyen Âge (p. 549-570). La majorité des publications se consacre cependant à l’Italie du Haut Empire et à l’Occident romain au sens large, en incluant l’Afrique et la Bretagne ; on note cependant des élargissements au monde danubien. Par ailleurs, deux communications évoquent presque exclusivement la République (p. 297-316 et p. 401-419). On pourrait être de prime abord surpris de trouver toute une partie centrée sur l’apport des sources littéraires à ces questions : en effet, les auteurs antiques ne paraissent pas fortement intéressés par la description des réalités et des pratiques institutionnelles des cités. Et pourtant, tant Cicéron (p. 21-29) qu’Ovide (p. 43-49), Pline l’Ancien (p. 51-70) et Appien (p. 31-41) livrent quelques renseignements non négligeables sur les institutions ou les acteurs des milieux dirigeants des cités. Cicéron apporte plusieurs réflexions conceptuelles utiles sur les  qualités requises d’une bonne gouvernance de la part du citoyen, surtout dans le De Republica et dans le De Officiis : il cite et discute des termes comme la iustitia et la fides, qui expriment des vertus à pratiquer dans le cadre d’un exercice du pouvoir conciliant la communis utilitas avec la libertas (A. Valdo). Les autres auteurs donnent des renseignements ponctuels d’ordre juridique ou prosopographique pour l’essentiel, tel Pline l’Ancien (A. Pistellato) ou Ovide, qui mentionne son immunitas à Tomis (V.E. Pistarino). F. Santangelo rappelle qu’Appien offre des renseignements portant sur l’Espagne et la cité de Carthage de la fin du III e et du II e s. av. J.-C. (ainsi que sur les cités d’Asie lors de la première guerre mithridatique). S.M. Marengo analyse Suétone qui illustre la question des rapports des cités et de l’empereur, source de récompense et de punition (p. 71-79). Pline le Jeune et le livre X de sa correspondance font l’objet de deux articles (p. 81-91, d’A. Sartori, et p. 93-105, de M. Christol), qui s’intéressent à sa qualité de gouverneur contrôlant les finances et  les travaux publics des cités, et d’envoyé spécial de l’empereur pour corriger et (ré)organiser la Bithynie.

La seconde partie envisage des entités au  départ  peu  influencées  encore  par  Rome,  mais dans lesquelles cette dernière intervient progressivement par le processus de conquête (p. 109-111). Rome oblige les cités gauloises menacées par César à entretenir des contacts diplomatiques de plus en plus suivis (p. 143-156, E. García Riaza), et durant les opérations militaires de la conquête romaine en Hispanie et en Gaule, l’écrit fut beaucoup utilisé tant entre Romains qu’avec les populations locales, le latin exerçant une primauté indiscutable (p. 157-173, même auteur). L’Espagne constitue en Occident un domaine privilégié pour la documentation disponible, car les sénats locaux de droit pérégrin sont bien attestés dans la péninsule ibérique dès les débuts de la présence romaine ; l’organisation de conseils hiérarchisés et  de  magistrats  a  pu  être  influencée  par  la  présence romaine (p. 175-186, d’E. Melchor Gil). F. Beltrán Lloris réédite quatre tesserae paganicae dédiées par des patrons ou des magistrats de pagi : l’une d’entre elles provient d’Espagne (p. 187-212).

La thématique choisie explique aussi un détour par le monde grec, avec un article de P. Cabanes sur la délimitation de frontières d’Ambracie (p. 113-125) après la disparition de la monarchie macédonienne, qui révèle des interventions romaines directes ou indirectes ; Cl. Barat étudie l’imaginaire romain à propos des relations entre Alexandrie et Sinope (p. 127-142) ainsi que l’invention d’une tradition mentionnant l’envoi de la statue de Pluton/Sérapis de Sinope à Alexandrie, qui sert la propagande flavienne ; néanmoins la cité de  Sinope s’est empressée de récupérer le thème de Sérapis dans ses émissions monétaires à partir de Vespasien jusqu’au règne de Gallien.

La troisième section du livre, la plus ample de l’ouvrage, s’avère de prime abord hétérogène puisque le titre, extrêmement vague, rend compte des « diverses facettes du monde municipal ». Les articles utilisent les épaves documentaires de l’Antiquité parvenues jusqu’à nous et tentent d’en tirer le plus de renseignements possibles. La moitié des travaux concerne l’Italie. Plusieurs communications concernent des cités. Cumes est l’objet de deux enquêtes : Fr. Sudi-Guiral analyse en profondeur un décret municipal, pourtant fragmentaire, décernant divers privilèges à trois personnes, parmi lesquelles se distingue C. Cupiennius Satrius Marcianus (p. 245-255) ; G. Camodeca livre des nouveautés concernant l’élite de l’administration de la cité (p. 219-244), en éditant des inscriptions non publiées mentionnant de nouveaux aristocrates clarissimes  et des  notables  municipaux,  enfin  des textes faisant connaître des affranchis d’une ville dont le patrimoine épigraphique est passé depuis l’édition du CIL de 35 à 380 inscriptions. Diverses corrections ou remarques concernent des textes déjà connus.

D’autres travaux constituent des enquêtes ou synthèses thématiques. Ainsi Cl. Berrendonner étudie la circulation des fonds entre la capitale et les villes italiennes en des temps qui furent souvent troublés et sujets à des expérimentations (p. 297-316). L’article de F. Luciani (p. 257-295) est également riche de republications et corrections épigraphiques concernant les esclaves et affranchis et en augmente le corpus. La mise à disposition d’un esclave  public  figurait  aussi  dans  l’inscription  concernant Cupiennius (cf. supra).

Les études provinciales sont au nombre de quatre. M. Christol évoque pour Nîmes l’octroi des honneurs décurionaux, qui concerne des conseillers d’une autre cité ayant des liens avec la communauté octroyant la récompense, de riches affranchis sévirs augustaux ou encore de jeunes et prometteurs descendants d’affranchis (p. 327-345). L’article d’A. Hostein correspond à un élargissement thématique et temporel, puisqu’il évoque l’acte d’évergétisme impérial à Autun sous la Tétrarchie concernant le relèvement des écoles à travers l’analyse du panègyrique d’Eumène (p. 347-361). B. Rossignol examine Apulum et Aquincum, où d’assez riches séries épigraphiques permettent de brosser un tableau de la religion publique locale et des panthéons officiels, parmi plus de  deux cents documents religieux épigraphiques disponibles (p. 363-390). Une autre thématique de recherches est discutée par B. Rémy et concerne les limites entre cités romaines dans les zones de pâturages alpestres, connues par un petit dossier épigraphique (p. 317-326) : il fait connaître aussi bien des accords entre cités que des limites imposées par l’autorité publique en raison peut-être des activités minières et surtout de conflits réels ou potentiels en rapport avec les  activités du pastoralisme.

Enfin  dans  la  dernière  partie,  la  vie  des  sanctuaires est examinée par le biais du quotidien municipal. M. Aberson et R. Wachter étudient une dizaine de textes interprétés comme lois sacrées  de  l’Italie  de  la  fin  de  l’époque  royale  (VI e s.) et de l’époque républicaine (p. 401-419). On entrevoit l’intervention de diverses autorités politiques pour des textes qui le temps passant témoignent d’une standardisation croissante. Les sanctuaires des cités possédaient des gardiens (aeditui), affranchis ou esclaves, étudiés pour l’Italie par Fr. Studi-Guiral (p. 421-432).

Le territoire de la Gaule conquise par César fait l’objet de plusieurs enquêtes. Bl. Pichon (p. 457-469) évoque les interventions publiques, ou au moins collectives, ce qui permet la présence des collèges, dans la monumentalisation des sanctuaires des Trois Gaules : sont par exemple examinées l’érection d’autels commémorant des évergésies de notables ou la gestion de l’espace public par la cité. On ne sera pas étonné que dans une recherche dirigée en partie par des chercheurs clermontois les grands sanctuaires d’Auvergne fassent l’objet de développements particuliers, émanant respectivement de Cl. Mitton pour les cités arverne et vellave (p. 471-478), d’Él. Nectoux pour le Puy-en-Velay (p. 479-497), enfin de J. Trescarte pour le complexe du Puy de  Dôme (p. 499-547) : les deux derniers chercheurs développent des éléments brièvement esquissés dans le bilan de Cl. Mitton, encore que le travail de J. Trescarte insiste surtout sur l’abondance de la céramique retrouvée sur le site du Puy Lacroix. Ces enquêtes pourraient développer comptes rendus 251 la notion de « grand sanctuaire », sur laquelle revenait l’introduction de cette quatrième partie, mais celle-ci soulignait la difficulté opératoire du  concept dans le cadre des recherches entreprises par l’équipe (p. 393-399). Cependant on ne voit pas très bien non plus le rattachement au projet de recherche clermontois de l’article de G. Masson, si ce n’est la proximité géographique du territoire d’investigation. En effet, son article sur Asclepios/Esculape dans les Gaules et Germanies ne participe pas, semble-t-il, de la même problématique (p. 433-456), car on ne voit pas l’implication de personnes titulaires de charges publiques dans le cadre de leurs activités  officielles  :  elles  apparaissent  plutôt  comme dévots à titre privé.

Les deux dernières contributions relèvent de  l’époque  médiévale  et  figurent  sans  doute  à titre de comparaison : J.-L. Fray montre l’« Instrumentalisation politique des grands sanctuaires chrétiens par des pouvoirs laïcs » à la fin du Haut Moyen Âge aux IXe et Xe siècles (p. 549-557), et L. Viallet développe l’idée de la sacralisation de certains espaces en ville en lien avec le culte de la Passion (p. 559-570).

Le recenseur relève certes la richesse d’un tel ouvrage collectif, mais il est aussi, malgré les rappels utiles présents dans les diverses introductions des axes et les titres successifs des recherches dans le cadre de colloques et journées d’études successifs, frappé par l’existence de travaux relativement dispersés, voire éclatés. Les recherches sur l’Orient grec et l’époque médiévale constituent manifestement des isolats mal reliés au reste des enquêtes. Les notions d’Occident et de praxis municipale sont finalement assez flottantes : les  zones danubiennes paraissent incluses, depuis d’ailleurs les volumes précédents, mais on doit sans doute s’en féliciter, car elles offrent des cités disposant d’un grand nombre de textes épigraphiques ; par ailleurs, les acteurs municipaux ou les pratiques municipales n’apparaissent pas avec netteté dans toutes les contributions. On a peut-être rassemblé dans un même volume un peu trop de colloques et de journées d’études aux thèmes principaux et titres parfois éloignés les uns des autres, comme  semblent  le  confirmer  les  rappels  des  cheminements et progressions de la recherche dans les introductions des diverses parties : le titre donné à la troisième partie illustre assez bien cette interprétation.

Cependant un des principaux intérêts des rencontres clermontoises est de lancer de multiples enquêtes municipales confrontant les villes et régions de l’Italie du Haut-Empire avec des régions et cités d’Occident moins bien pourvues en inscriptions publiques, ou disposant d’autres types de realia. Ces dernières offrent  également  des  points  de  réflexion  concernant la représentativité et la quantité de la documentation à la disposition du chercheur. Cela explique sans doute le relatif optimisme qui semble prévaloir p. 12 : on évoque une « documentation littéraire, épigraphique, archéologique et archivistique, considérable et variée ». On reste quand même surtout frappé par l’extraordinaire différence du nombre de documents conservés et pris en compte dans les divers articles : quelle analogie entre la Campanie – décidément bénie des dieux, si riche en documents (2 000 inscriptions rien qu’à Pouzzoles, p. 221, sans même évoquer le destin privilégié, si l’on ose dire, des 11 000 inscriptions et  graffitis  pompéiens),  y  compris  en  matière  d’épigraphie publique{{3}}– et l’Ouest gaulois, si pauvre en inscriptions ? La Gaule constitue en effet « au milieu du III e siècle […] un véritable désert documentaire, et tout particulièrement […] épigraphique » (p. 347) : il vaudrait mieux dire : durant la seconde moitié du III e siècle. C’est tout le mérite d’A. Hostein de compenser partiellement cette lacune par la prise en compte de l’existence des panégyriques littéraires gaulois, riches en données, plus instructifs au final  que  les  renseignements  tirés  des  autres  sources littéraires mobilisées dans les premiers articles, malgré l’intérêt de ces recherches. Les habituels problèmes de représentativité de la  documentation  sont  donc  aussi  en  filigrane  dans cet ouvrage : on notera aussi le très grand accroissement de la documentation épigraphique disponible pour Capoue, qui en sort décuplée, à la fois à cause d’une correction des frontières de la cité depuis celles proposées par le CIL et de la découverte d’un grand nombre d’inscriptions et fragments épigraphiques, pour une part encore inédits.

Tels quels, les travaux évoqués plus haut ajoutent des éléments supplémentaires à une grande enquête décennale d’origine clermontoise sur les pouvoirs locaux d’une grande partie de l’Empire. Le présent volume offre une ouverture vers les sanctuaires, riches de leur documentation archéologique, qui enrichit les angles d’approche utilisés. L’accumulation d’articles portant sur des points de détail de la vie municipale, des champs d’intervention des acteurs municipaux, permet tout de même raisonnablement de multiplier les points de référence et a d’ores et déjà produit une multitude de résultats bienvenus dans un grand nombre de dossiers documentaires. Qu’il soit permis de rappeler pour les besoins du propos une autre illustration : l’auteur du présent compte-rendu, en procédant à une récente enquête centrée surtout, mais pas exclusivement, en Orient, sur la notion en partie erronée de cursus honorum des magistrats dans les cités de l’Empire, n’avait pas beaucoup d’enquêtes précises disponibles sur cette question ; il a cependant pu utiliser  pour  sa  réflexion  plusieurs  articles  des  colloques clermontois, qui lui fournissaient des éléments bienvenus de comparaison 4 . L’utilité de ces volumes n’est donc plus à démontrer et tout chercheur peut en y ayant recours enrichir ses connaissances et y trouver son bonheur.

François Kirbihler

[[1]]. Les élites et leurs facettes. Les élites locales dans le monde hellénistique et romain, M. Cébeillac-Gervasoni, L. lamoine éds., Clermont-Ferrand 2003 ; Autocélébration des élites locales dans le monde romain. Contextes, images, textes II e s. av. J.C.-III e s. ap. J.-C., M. Cébeillac-Gervasoni, L. Lamoine et Fr. Trément éds., Clermont-Ferrand 2004 ; Le Quotidien municipal dans l’Empire romain, Cl. Berrendonner, M. Cébeillac-Gervasoni et L. Lamoine éds., Clermont-Ferrand 2008. Ces ouvrages ne représentent pas la totalité des travaux, puisque certains ont été publiés entre 2003 et 2007 dans les MEFRA et les CCGG. Le programme des concours en France entre 2009 et 2012 a permis de faire en partie connaître ces problématiques et publications à un public plus large d’étudiants. [[1]]

[[2]] 2.  Qu’il  suffise  de  rappeler  ici,  parce  qu’il s’agissait également de colloques : Les  « Bourgeoisies » municipales italiennes aux II e et I er s. av. J.-C., M. Cébeillac-Gervasoniéd., Paris-Naples 1983 ; Les élites municipales de l’Italie péninsulaire de la mort de César à la mort de Domitien entre continuité et rupture. Classes sociales dirigeantes et pouvoir central, Ead. dir., Paris-Rome 2000 [[2]]

[[3]] 3. La documentation présentée et discutée dans le présent livre offre de nouvelles inscriptions concernant diverses catégories de personnes et d’actes de la pratique : clarissimes, augustaux, décrets municipaux.[[3]]

[[4]] 4. fr. kirbihler, « Un cursus honorum à Éphèse  ?  Quelques  réflexions  sur  la succession  des  magistratures de la cité à l’époque romaine» dans P. Goukowsky, Chr. Feyel dir., Folia Graeca in honorem Edouard Will : Historica (2), Nancy 2012, p. 67-107 ; à comparer par exemple avec B. Rossignol, « Les cités des provinces danubiennes de l’Occident romain : vue cavalière depuis Sarmagezetusa » dans Le quotidien municipal dans l’Occident romain, Cl. Berrendonner, M. Cébeillac-Gervasoni et L. Lamoine éds., Clermont-Ferrand 2008, p. 83-101 ; ou encore A. Rizakis, Fr. Camia, « Magistrats municipaux et déroulement des carrières dans les colonies romaines de la province d’Achaie », ibid., p. 233-245.   [[4]]