< Retour

La terminologie religieuse dans l’Antiquité fait partie des catégories sémantiques les plus difficiles de cette époque, et le domaine de la science de la divination n’y fait pas exception. L’ouvrage en question, qui est le fruit de la journée d’études portant sur « Le vocabulaire latin de la divination » et organisée le 11 mai 2012 à l’université de Tours, s’attèle donc à une tâche des plus utiles en proposant de contribuer au débat sur la terminologie religieuse des Romains en examinant une série de facettes très diverses du domaine de la sémantique divinatoire. Le livre, semblable à son prédécesseur dans la série « Grammaire et linguistique » (S. Roesch [éd.], Prier dans la Rome antique. Études lexicales, Paris, 2010) réunit ainsi une demi-douzaine d’études lexicales qui portent à la fois sur des phénomènes divinatoires spécifiques et sur des auteurs ou œuvres choisis. L’ouvrage est inauguré par une introduction générale (p. 13-14) dont la brièveté constitue, hélas, un petit bémol, car il aurait été certainement fort utile pour le lecteur de voir les diverses contributions placées dans un contexte terminologique et phénoménologique un peu plus large.

La première contribution est signée par Stéphane Dorothée et porte sur « Signum et significare dans le vocabulaire de la divination : du signe au présage » (p. 15-28), avec comme résultat principal le constat que l’évolution du complexe sémantique de signum est caractérisée par la même tendance qui domine aussi l’histoire de la divination romaine. À ses débuts, celle-ci semble restreinte au simple établissement de l’assentiment ou du refus des dieux par rapport aux projets de l’individu (ou de l’État), alors que vers la fin de la République, la science divinatoire se consacre graduellement à l’exploration de plus en plus précise d’un futur prédéterminé par le plan divin. L’évolution de signum est tout à fait analogue à ce mouvement : dénotant initialement – non seulement dans la divination, mais aussi dans la météorologie et la médecine – seulement l’indice, il vient à désigner le phénomène prodigieux lui-même. Jacqueline Champeaux discute ensuite, dans un article intitulé « Miraculum : y a-t-il un ‘miracle’ païen ? » (p. 29-48), et sur base d’un dépouillement méthodique de nos sources, les diverses significations du terme miraculum, oscillant entre l’exploit humain certes étonnant (en bien comme en mal), mais guère divin, et le « prodige » proprement dit ; sens ensuite adopté par le langage chrétien. De miraculum, l’attention se déplace ensuite sur le terme complexe de l’omen, analysé par Sophie Roesch dans sa contribution « Omen, un présage oral ? » (p. 49-84), et démontrant comment ce mot, probablement dérivé de os (bouche) et limité à l’origine à l’expression verbale involontairement inspirée par les dieux, pouvait être utilisé, dans la suite, comme synonyme pour la plupart des autres termes divinatoires, rejoignant ainsi précisément l’analyse que le recenseur du présent ouvrage avait déjà proposé dans le chapitre dédié à ce sujet de son étude sur la divination, mais malheureusement inconnu de l’auteur (D. Engels, Das römische Vorzeichenwesen, Stuttgart, 2007, 259-282).

Après ces trois premières contributions dédiées aux divers termes techniques suit une seconde partie examinant l’emploi de la terminologie divinatoire par certains auteurs choisis. Ainsi, François Guillaumont se consacre à Cicéron et discute, dans « Le vocabulaire de l’inspiration dans le De diuinatione » (p. 85-100), le riche usage que fait Cicéron des termes suggérant l’inspiration divine (p.ex. furor, uates, concitatio, motus, instinctus ou inflatus et leurs diverses formes et dérivés) dans le dialogue qui est probablement notre source principale pour la reconstruction de la divination romaine. Il conclut à la fois à l’importance de l’inspiration platonicienne (notamment du Phèdre) et à celle du langage prophétique. Toujours dans le registre de l’analyse du vocabulaire cicéronien, Bruno Poulle examine « Le vocabulaire de la nécromancie chez Cicéron » (p. 101-110) et souligne que ce vocabulaire, dû au fait que la nécromancie était une pratique largement inhabituelle à Rome (et se réduisant d’ailleurs chez Cicéron à de rares allusions à d’éventuelles pratiques similaires de la part de App. Claudius Pulcher [cos. 54] et P. Vatinius), se fonde essentiellement sur l’utilisation des termes techniques grecs et la redéfinition de certaines expressions latines. Le dernier article est signé par Dominique Briquel et s’intitule : « Entre le latin et l’étrusque, les nomina Tusca chez Dioscoride. Ont-ils un rapport avec la divination ? » (p. 111-136). Briquel discute de l’hypothèse selon laquelle les noms des plantes portant des noms prétendument étrusques (nomina Tusca) et mentionnées dans les adjonctions au texte primitif du De materia medica de Dioscoride pourraient éventuellement renvoyer à la terminologie sacrale de cette région dont l’influence fondamentale sur la divination romaine n’est plus à établir, et répond par la négative, supposant plutôt une origine simplement agronomique des termes en question.

L’ouvrage, complétant de manière fort utile les études précédentes sur la terminologie divinatoire des Romains, est clôturé par une liste des abréviations des ouvrages antiques (p. 137-140 ; malheureusement sans référence aux endroits où ces textes sont mentionnés) et une bibliographie générale sur la divination romaine (p. 141-147).

David Engels, Université libre de Bruxelles