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L’ouvrage réunit des contributions de deux rencontres majeures concernant la sculpture romaine en France : d’une part, la table ronde « Rendre à César » tenue le 20 juin 2012 au Louvre, autour de la découverte d’un buste masculin dans le Rhône en 2007, identifié aussitôt par Luc Long comme une effigie de Jules César ; d’autre part, le colloque « Rencontres autour de la sculpture romaine conservée en France », organisé du 18 au 20 octobre 2012 au musée départemental Arles antique. Les résultats de ces manifestations, trente-huit articles en tout, ont été réunis par les éditrices scientifiques, Vassiliki Gaggadis-Robin et Pascale Picard, dans trois parties et dotées d’une conclusion générale signée par Robert Turcan.

La première partie du volume est divisée en deux sous-parties : « Le portrait de César » découvert dans le Rhône » propose des argumentations développées majoritairement dans le cadre de la table ronde au Louvre ; la seconde permet d’étendre la réflexion au « Portrait romain en Gaule ». Dans la toute première contribution de la première sous-partie, Daniel Roger propose une synthèse pertinente de la table ronde parisienne, étant donné que tous les participants ne sont pas représentés par une contribution : la principale question reste, de savoir s’il s’agit de César même ou d’un inconnu contemporain qui aurait imité l’empereur comme c’était l’usage à l’époque. L’auteur fait par ailleurs un point utile sur les problèmes généraux concernant les portraits de César et des grands hommes de la fin de la République. Afin de conforter sa thèse de 2007, L. Long propose un ensemble des arguments tendant vers l’identification du buste avec César et dont trois constituent des véritables piliers de sa démonstration. D’abord c’est le marbre utilisé, provenant de Dokimeion en Asie mineure, qu’il relie avec la traversée de la Phrygie de César avec sa sixième légion, en 47 av. J.-C, avant de la démobiliser l’année suivante à Arles devenue une colonie romaine ; l’étude stylistique permet de dater le visage autour de cette période. Ensuite, L. L. tente d’isoler des critères d’expression distinctifs de l’homme représenté qu’il raccorde avec les portraits connus de César et notamment avec le type « Tusculum » : il s’agit avant tout de nombreuses rides d’expression, très proches de celles de César de Tusculum, alors que les images des notables romains « césarisantes », attestant des traits de César, en possèdent moins. Enfin, c’est la longévité du portrait jusqu’à la charnière des IVe et Ve siècles ap. J.-C. qui attesterait le culte ou la notoriété d’une personne hors du commun et non pas d’un simple notable local. Jean-Charles Balty, en analysant le portrait, conclut que le type « Tusculum » du portrait de César, dont on connaît au moins trois répliques et plusieurs autres variantes, ne remonte certainement pas à un même original (Urbild) comme le buste du Rhône : les proportions du visage et de la calotte crânienne ne correspondent pas du tout ; le portrait du Rhône est nettement moins réalistes, en revanche, il partagent de nombreux traits communs avec le portrait « aristocratique » de Tusculum : la coiffure, les joues creuses, des rides, des sillons, des fossettes et des plis. En datant le portrait au plus tard du milieu du Ier s. av. J.-C., il souligne par ailleurs l’improbabilité que le type « Tusculum », dont l’original est à dater des dernières années de vie de César, aurait été précédé deux ou trois ans auparavant d’un autre type iconographique. L’auteur aborde également le second portrait découvert en même temps, qui fut identifié à Lépide, en démontrant qu’il ne peut s’agir du même homme que les effigies de Lépide d’Alba Fucens et de Turin ; sa datation ne peut être par ailleurs antérieure à Claude. Par comparaison avec d’autres sculptures, J.-Ch. B. démontre aussi que les traces d’un tenon et la façon dont la tête est découpée et taillée à la gradine au revers du plastron témoignent d’une fixation sur un pilier en hermès. Emmanuelle Rosso, en renouant avec la contribution de J.-Ch. B., rappelle ensuite certains points méthodologiques de l’étude des portraits romains : la Kopienkritik consiste à une mise en série des effigies connues et à une confrontation des différentes répliques d’un original ; de ce fait, ressemblance n’implique pas une même identité, de plus si on doit prendre en compte l’imitation consciente des caractéristiques physionomiques, stylistiques et expressives sur les portraits des contemporains qui se firent figurer à la César. E. R. réfute ainsi le postulat que le portrait du Rhône serait à la fois une pièce unique et clairement identifiable à César. Elle rapproche l’effigie de portraits de datation et d’attribution indiscutables : Nonius Balbus à Herculanum et Holconius Rufus à Pompéi, portraits postérieurs à la mort de César, mais parvient aussi à l’insérer dans une lignée de portraits privés tardo-républicains dont on connaît des exemples même en Gaule. Des arguments solides mènent enfin l’auteure à s’interroger sur une possible datation du portrait de l’époque augustéenne. Paolo Moreno, en confrontant le « César » du Rhône à la statue-portrait de « Césarion » en bronze provenant d’Hiérapetra, tente de conforter l’hypothèse sur la représentation du dictateur même, en y soulignant la présence des mêmes formules hellénistiques qui procèdent des Pathosformen : la tenue de la tête, inclinée et en torsion du cou ; les rides d’expression. Lorenz E. Baumer s’interroge ensuite sur les proportions de la tête et sur la découpe en arrière du crâne en avançant une hypothèse alternative à celle de J.-Ch. B., sur une possible provenance de l’effigie d’un relief, en établissant des parallèles dans l’exécution des bustes avec des Zeitgesichter dans les portraits funéraires des esclaves affranchis : les têtes touchent le fond du relief et ne possèdent donc pas la partie arrière du crâne ; elles ne sont pas axiales, tout comme celle du Rhône. Dans la dernière contribution de cette section, Mario Denti, en s’interrogeant sur les parcours méthodologiques et les traditions culturelles des recherches sur le portrait antique, regrette l’absence de dialogue avec d’autres disciplines historiques et présente des nouvelles pistes de réflexion importantes : il y a eu des rapports des membres de l’aristocratie arlésienne avec l’Asie mineure où ils développèrent leurs intérêts – une information à creuser quand on sait que l’effigie du Rhône fut exécutée en marbre de Dokimeion. La vue principale du portrait, des trois-quarts depuis la gauche, indiquée par la coupe en arrière, par la meilleure qualité d’élaboration sur le côté visible et par la disparition des « déformations » (parfois reliées à des imperfections physionomiques de César), le mènent à formuler une hypothèse analogue avec celle de L. B. sur une possible provenance du portrait d’une image clipeata.

On remarque bien que le problème de l’identification du buste réside dans le fait que les types connus des portraits de César sont tous posthumes et le portrait du Rhône ne semble se rattacher à aucun de ces types. Sans pouvoir parvenir à un consensus sur l’identification du célèbre portrait du Rhône, les contributions publiées dans le présent volume forment une « base solide de réflexion pour la recherche future » comme le rappellent dans l’introduction à l’ouvrage les éditrices scientifiques.

La seconde sous-partie, traitant le portrait romain en Gaule, est composée des études singulières de divers portraits. J.-Ch. Balty rappelle la nécessité, pour identifier les empereurs, de s’en tenir à un cadre méthodologique strict de la Kopienkritik. Il arrive ainsi à contester, de manière plausible, l’identification à César, à côté du portrait du Rhône, du buste de Poilhes, tout comme ceux de Neffiès et de Saincaize (Nièvre) à Hadrien : il doit s’agir des contemporains figurés avec un Zeitgesicht. Une réflexion sur la mémoire de Trajan, après sa mort depuis l’Antiquité et jusqu’aux XVIIIe et XIXe siècles en France, est menée par Martin Galinier qui souligne la particularité de l’Optimus Princeps d’incarner tout au long des siècles simultanément le pouvoir monarchique et la Liberté. Hannelore Rose montre dans sa contribution que le portrait d’un jeune homme d’Arry, conservé au musée de Metz, provenait vraisemblablement d’une sculpture funéraire et l’attache à un développement du style commun des provinces de la Gaule et de la région rhénane dans le deuxième quart du Ier siècle ap. J.-C. Simon Deyts et Jaques Meissonnier reviennent aux portraits de Saincaize afin de proposer une première présentation approfondie des deux bustes hadrianiques. Tandis que celui nu, daté du début du règne d’Hadrien, ne peut pas figurer l’empereur, comme l’a démontré dans sa contribution J.-Ch. Balty – mais les auteurs en sont moins sûrs en tentant une nouvelle comparaison avec les monnaies –, le buste cuirassé, daté de la fin du règne de l’empereur, présente bien l’effigie impériale. Maria-Pia Darblade Audoin reconsidère une tête masculine couronnée de vigne, conservée au musée de Grenoble : il ne peut pas s’agir d’un portrait impérial du IVe siècle, elle propose d’y reconnaître Dionysos ou un Silène – un rapprochement avec le cercle dionysiaque est en effet incontestable ; sa datation de la 2e moitié du IIe siècle ap. J.-C. paraît appropriée quant à l’élaboration de la chevelure et l’utilisation du trépan. Stéphanie Mongibeaux dresse quelques constats sur les portraits de Vesunna (Périgueux) dont on peut souligner l’originalité et dont l’auteure rappelle le rapprochement avec la production de Burdigala. Il paraît plausible de replacer ces sculptures dans un contexte funéraire ; la datation par S. M. de la plupart des têtes, au IIe siècle ap. J.-C., paraît cependant encore bancale. Michel Kasprzyk présente dans son article un portrait d’une femme d’âge mûr en marbre découvert à Sercy (Saône-et-Loire), qu’il rapproche des femmes de la maison impériale augustéenne. Caroline Michel d’Annoville s’intéresse au portrait masculin de Forcalquier conservé dans l’hôtel de ville. En examinant l’œuvre dont la chevelure, un élément de datation important, fut ôtée, elle remarque des indices permettant de conclure à un portrait retravaillé à une autre effigie. L’exécution des yeux et le traitement de l’intégrité du visage du portrait retravaillé, attribués généralement à la fin du IVe siècle ap. J.-C., l’amènent à rapprocher le portrait d’œuvres plus récentes, du haut Moyen Age.

La seconde partie de l’ouvrage, intitulée « Nouvelles techniques d’investigations scientifiques », présente cinq recherches en cours sur la sculpture découverte dans le Rhône à Arles ou en mer. Le bilan des premières analyses des marbres découverts entre 2009 et 2011, présenté par P. Picard, conclut à une prédominance de marbres orientaux d’importation ; Philippe Bromblet et Philippe Blanc exposent de plus près le travail d’identification d’une trentaine de marbres blancs de diverses origines. La présentation de l’étude de la dorure à la feuille de la Victoire d’Arles, effectuée au C2RMF par Marc Aucouturier, Dominique Robcis, Juliette Langlois et Yannick Vandenberghe, complète par de nouveaux résultats la présentation du projet dans le catalogue César : le Rhône pour mémoire, 2 ans de fouille dans le fleuve à Arles. François Baratte, en analysant le type statuaire d’une statuette d’Hercule en bronze, propose pour cet objet la datation du Ier siècle av. J.-C. et une possible provenance d’Asie mineure. Dominique Robcis, Marc Aucouturier, Yvan Coquinot et Jean Marsac présentent ensuite les résultats de la restauration de ce bronze au C2RMF. La réunion de ces études a pour mérite d’exposer les résultats de l’application des nouvelles technologies dans les recherches sur la sculpture.

La troisième partie de l’ouvrage contient seize études dédiées à des « Découvertes archéologiques récentes, nouvelles recherches » et s’intéresse à la plastique romaine découverte récemment ou à des sculptures pas suffisamment étudiées. Philippe Leveau souligne dans son étude sur la sculpture funéraire des élites locales dans les résidences rurales d’Aquae Sextiae (Aix-en-Provence) un phénomène d’affirmation locale : si plutôt les pratiques d’inhumation et l’iconographie des élites évoluent et se romanisent, la pratique des mausolées in villa, ornés de statues, persiste. Quelques études préliminaires suivent : des fragments de sculptures en calcaire de deux captifs découverts sur le forum de Vaison-la-Romaine (Vaucluse) sont présentés par Jean-Marc Mignon et E. Rosso ; les sculptures de la fouille du parking Jean-Jaurès à Nîmes, notamment une statue de Neptune et sa reconstitution 3-D, sont montrées par Cécile Carrier, Renaud Robert et Danièle Terrer ; Richard Pellé s’interroge sur une possible appartenance d’un ensemble de trois sculptures monumentales en calcaire, découvert à Nîmes, à une effigie de la famille impériale julienne ; Sandrine Agusta-Boularot présente quatre « chapiteaux à têtes » pré-augustéens de Château-Bas à Vernègues ; Patrick De Michèle s’interroge sur le destin des sculptures intentionnellement détruites et mises au jour dans le théâtre antique d’Apt (Vaucluse). Djemila Fellague fait un point sur une trentaine de pièces sculptées conservées à Lyon, soit en parvenant à rétablir leurs provenances, soit en présentant quelques pièces inédites. Un couvercle de sarcophage romain de Faucon-de-Barcelonnette (Alpes-de-Haute-Provence) est étudié et daté de la fin du IIe ou du IIIe siècle av. J.-C. par S. Agusta-Boularot et V. Gaggadis-Robin. Pascal Capus présente un Jupiter à l’aigle provenant d’Avignonet-Lauragais et acquis en 2011 par le musée Saint-Raymond de Toulouse chez Sotheby’s New York. Véronique Brunet-Gaston et Yannick Labaune tentent d’identifier, dans une étude plausible, un groupe statuaire d’Autun comme une gigantomachie. Les sculptures romaines du musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon sont représentées avec deux contributions : de la statuaire inédite par Noëmi Daucé et Nathalia Denninger ; une étude préliminaire de cinq portraits de la collection Pierre-Adrien Pâris, pris d’abord pour antiques, mais à la réputation suspecte dans les cercles des spécialistes de la statuaire, par Sophie Montel qui les rapproche de manière plausible des ateliers romains du XVIIIe siècle. Jean-Noël Castorio présente pour la première fois la statue colossale inédite de Victoire en calcaire découverte à Champigny-lès-Langres (Haute Marne) ; Sévérine Blin identifie et attribue des statues fragmentaires, mises au jour à proximité de l’amphithéâtre de Metz-Divodurum, à un programme sculpté du théâtre. Des exemples de comparaison permettent à Jean-Yves éveillard d’identifier un coffre en granite antique découvert à Plouarzel (Finistère) comme un sarcophage d’un chien de chasse, tandis que Felipe Ferreira parvient, grâce à des comparaisons, à réfuter l’identification du thiase marin, conservé dans le musée de Lillebonne et attribué au théâtre antique de la ville, en le rattachant à un monument funéraire précis. La majorité de ces contributions, en offrant pour la plupart des présentations très abouties, propose à la communauté scientifique un aperçu des découvertes sculpturales peu connues ou inconnues et permet d’avancer les recherches sur les pièces.

L’essai historique de R. Turcan à la fin de l’ouvrage porte une réflexion stimulante sur le caractère de la sculpture romaine qui se forme dans la durée et par interaction.

L’apport de cet ouvrage est multiple : il fait le point sur l’ensemble des hypothèses majeures concernant le portrait du Rhône ; présente des techniques modernes diverses de recherches sur la sculpture romaine ; offre une plate-forme pour présenter des études de sculptures inconnues de l’hexagone et, à travers ses contributions, l’ouvrage rappelle la nécessité d’un travail méthodologique rigoureux, tout en encourageant le croisement des disciplines pour aboutir à de nouveaux résultats.

Karolina Kaderka

Mis en ligne le 6 décembre 2017