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Ce recueil fait suite à un colloque organisé par les mêmes chercheurs à la MSH de Grenoble avec le Musée Dauphinois et la collaboration du SRA Rhône-Alpes sur « Les agglomérations de la ville de Vienne » dont la plupart des communications avaient été publiées, dans la Revue archéologique de Narbonnaise, 38-39, 2005-2006, p. 7-169.
Précédé d’une courte introduction générale de Ph. Leveau et B. Rémy, p. 5-7, et clos par une abondante et dense conclusion de Ph. Leveau, p. 371-398, l’ouvrage est organisé en trois parties introduites chacune en plusieurs pages par Ph. Leveau. Le recueil est formellement bien présenté et équilibré avec pour chacun des articles, à quelques rares exceptions près, une bibliographie et des illustrations – tableaux, graphiques, cartes, photographies le plus souvent rejetées à la fin de l’article. La 1ère partie ; « Les villes alpines : origine et contexte géographique », p. 11-99 contient trois communications : M. Tarpin, « L’origine des villes alpines » ; M.-Ch Fourny, « Quelle spécificité des villes des Alpes ? Une analyse critique des approches géographiques de la ville alpine », dont la forme laisse malheureusement beaucoup à désirer (anglicismes, incorrections grammaticales ou de syntaxe, formules creuses ou incompréhénsibles, contresens) ; Ph. Leveau, « La ville romaine alpine dans son contexte environnemental : géoarchéologie et histoire du climat dans les Alpes ». La 2e partie, « Facteurs historiques et géographiques du développement urbain », p. 103-240, comprend six communications. S. Cibu, « Villes alpines et religion civique », M. Guérin‑Beauvois, « Thermalisme et villes alpines » ; S. Crogier‑Pétrequin s’intéresse aux « V Villes et agglomérations alpines dans les itinéraires antiques » ; G. Mennella « “In alpe summa”. Integrazioni al miliario CIL, V, 8103 » rouvre le dossier épigraphique des 17 inscriptions du CIL V en lien avec le milliaire CIL, V, 8301 du règne de Trajan relatif à la via Iulia Augusta ; E. Cimarosti « Verso il confine : un aggiornamento ai miliari italiani delle alpes cottiae », à partir d’inscriptions, étudie la question des limites des Alpes Cottiennes du côté italien. M. Segard examine « Le rôle des ressources naturelles dans le développement des villes alpines ». La 3e partie, « La ville dans l’espace provincial », p. 243-370, comprend cinq communications. Les quatre premières sont des monographies. Fr. Wiblé étudie « Les agglomérations des Alpes Poenines », B. Rémy et H. Barthélémy, les « Villes, agglomérations urbaines et itinéraires dans les Alpes Graies », M. Segard, « Les villes des Voconces », ce qui exclut méthodiquement le sud du territoire et Vaison qui sont rhodaniens et caractéristiques de plaines et a l’intérêt d’enrichir la définition du sujet du colloque. Une remarque identique peut être faite à propos de l’article de P. Arnaud sur « Les villes antiques des Alpes Maritimes ». Ces quatre articles qui utilisent également archéologie et épigraphie constituent des bilans très utiles par la qualité de l’information, des réflexions et des pistes de recherche suggérées.
La qualité d’un recueil de ce type apparaît quand, malgré la diversité des communications et des angles de vue adoptés par les différents auteurs, la connaissance et la compréhension globale du sujet progressent avec les réponses apportées par chaque article et les liaisons possibles d’un article à un autre et quand sont mis en lumière des apports dans l’information et dans les méthodes. C’est le cas ici où il faut en outre souligner l’intérêt de la conclusion d’ensemble donnée en fin de 3e partie par Ph. Leveau. L’information, d’abord. La question de « la ville des Alpes occidentales à l’époque romaine » pouvait paraître simple. Partir des villes des provinces des Alpes était une nécessité. S’interroger sur ce qu’ont d’alpin les villes, c’était aussi s’interroger sur la géographie, l’histoire et l’historiographie. C’était donc poser un questionnement complexe : pour déterminer si les Alpes entraînent des particularités urbaines, d’urbanisme, d’urbanisation et d’urbanité. Par voie de conséquence, c’est aussi s’interroger sur les limites des Alpes et des caractères alpins car si les quatre provinces des Alpes sont au coeur du massif, elles ne sont pas toutes les Alpes. D’où la nécessité d’inclure des portions de territoires de cités de la Narbonnaise qui appartiennent physiquement au massif et qui ont un caractère montagneux en partie plus ou moins grande. Finalement, les différents articles mettent en évidence que parler des villes des Alpes est une question de points de vue : géographique, ethnique, politique au sens administratif et juridique du terme. Or ces différents points de vue existaient dans l’Antiquité. Strabon, Pline l’Ancien, Ptolémée ne parlent pas tous des villes des Alpes de la même façon, ni chacun à l’intérieur de son oeuvre. Les itinéraires antiques, comme le rappelle S. Crogier-Pétrequin, ne nous parlent pas de la même façon des lieux agglomérés que les auteurs antiques parce que leur point de vue est autre : certes, ils nous parlent des villes mais aussi de tout ce qui le long d’un itinéraire peut s’y rapporter ou a pu s’y rapporter, sans distinction entre agglomération et autre occupation. Géographiquement, la montagne impose des contraintes et détermine des formes. Les contraintes sont verticales et horizontales : c’est l’opposition entre les pentes des versants, avec leurs conséquences par exemple sur l’ensoleillement, et la plaine, par exemple du fond de vallée mais qui peut aussi être celle qui précède les montagnes. L’occupation du sol est largement déterminée par cette double contrainte qui se marque aussi bien sur les conditions de circulation que sur la taille des villes et la densité urbaine. Une des conséquences du milieu pour ces villes est, comme l’écrivent B. Rémy et H. Barthélémy (p. 273), que cette « civilisation de type alpin [est] caractérisée par l’exploitation de ressources spécifiques (prairies, alpages, forêts, mines), mais aussi par le guidage des voyageurs et le transport de marchandises pour lesquels ils prélevaient un droit de passage. » Un autre aspect semble pouvoir être dégagé : la densité du réseau urbain et des agglomérations (secondaires) d’une part et relations entre chef‑lieu et autres agglomérations d’autre part. Si, une fois observée l’inégalité de la connaissance archéologique résultant de la très grande variété en nombre, en quantité ou en qualité des fouilles selon les territoires hier ou aujourd’hui, la plupart des auteurs ont montré que nombre de villes des Alpes étaient de taille modeste et que peu d’entre elles étaient pourvues de la parure monumentale souvent énoncée comme la caractéristique urbaine romaine, si la plupart des articles montrent que le plan orthonormé est souvent absent, tous montrent aussi une grande densité urbaine qui est probablement la conséquence des contraintes topographiques : un développement urbain linéaire du fait de la forme des vallées ; des dénivellations qui ne se mesurent pas seulement en distances mais aussi en temps de progression. Les différentes monographies urbaines provinciales ou les études thématiques, comme celle de Simina Cibu sur la religion civique, montrent que cela ne prive pas pour autant les villes des monuments qui expriment les pratiques civiques religieuses ou civiles. Mais l’une des particularités les plus nettes par rapport aux autres régions occidentales et aux zones de plaines est, semble-t-il, la moindre présence dans la ville chef-lieu des notables municipaux du moins si l’on en juge par le nombre des attestations épigraphiques les concernant trouvées dans des agglomérations secondaires ou les zones rurales. Tous les auteurs montrent aussi que l’idée de montagne marginale, marginalisée est assez fausse et très récente : il n’y a pour ainsi dire aucune attestation dans les sources littéraires anciennes des Alpes ou de leurs cols comme des obstacles à la circulation des hommes, quel qu’ait pu être l’aménagement de la voie.
Du point de vue de la méthode on en retiendra l’apport de la complémentarité entre archéologie, paléosciences et épigraphie, notamment dans la progression de la réflexion sur la place de l’aléa climatique, sur la compréhension et la conscience du risque encouru ou choisi. En regard de l’équilibre entre les deux, l’interprétation variable, selon les auteurs ou selon le temps, des inscriptions qui signalent des événements comme des inondations est intéressante : ainsi Ph. Leveau, p. 61-62 et, p. 278, B. Rémy et H. Barthélémy. Replacée dans le temps long historique et protohistorique, l’inscription ILAlpes Graies, 54, de Bourg Saint-Maurice, datée entre le 10 décembre 162 et le 9 décembre 163 qui atteste une évergésie impériale sous la forme d’une restauration des « routes qui traversent le territoire des Ceutrons et qui avaient été emportées par la violence des torrents » avec la construction de digues, la restauration de ponts (?), des temples et des bains de la ville, n’est peut-être pas le témoignage d’un acte exceptionnel et d’une crue exceptionnelle mais un exemple conservé qui montre que le risque encouru était accepté et intégré. Autrement dit, inondations, divagation des cours d’eau, coulées de boues ou éboulements n’empêchèrent pas les hommes de s’installer.
Ce livre présente de grands intérêts. Ses qualités n’en font que regretter d’autant plus l’absence d’une carte générale claire ainsi que l’absence d’index et de table des sources, certes fastidieux à constituer et vérifier mais très utiles.

Nicolas Mathieu