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L’historiographie contemporaine ne cesse de découvrir l’ampleur de l’oeuvre augustéenne, qui ne négligea aucun secteur de la société, même les plus humbles. L’ouvrage de J. Bert Lott, professeur assistant à Vassar College, sur les quartiers de Rome, les vici, le démontre à nouveau. Il vient compléter utilement la monographie de M. Tarpin, Vici et pagi dans l’Occident romain (Rome 2002), qui abordait le sujet dans une perspective de comparaison avec les pagi (J. Bert Lott ne cite d’ailleurs pas dans sa bibliographie ce livre, dont la date de publication était peut-être trop proche). Au contraire de M. Tarpin, l’auteur adopte une perspective résolument sociologique, qui transparaît dans son chapitre introductif, reprenant les modèles géographiques actuels sur les quartiers (tout en rappelant clairement la spécificité culturelle des quartiers romains). Le titre du livre ne rend d’ailleurs pas compte de son ambition véritable, qui consiste à retracer l’histoire des vici depuis les origines jusqu’au règne d’Auguste mais son choix est aisément compréhensible puisque le premier empereur procéda à une réorganisation profonde du système.
De fait, après un chapitre introductif définissant le vicus, groupe de maisons organisé autour de rues et centré sur un carrefour, l’auteur consacre deux chapitres (« Neighbourhoods in the Roman Republic » et « Republic to Empire ») sur quatre à la période républicaine. Attribuée par Denys d’Halicarnasse au roi Servius Tullius, la création des quartiers s’inscrit, selon cet auteur, dans l’organisation générale des régions de la Ville. L’autel des Lares du quartier, placé au centre du carrefour, en représentait le coeur et la fête en l’honneur de ces Lares, les Compitalia, au début de l’année, constituait le temps fort de leur calendrier. Dans la perspective des travaux de J.M. Flambard, J. Bert Lott rappelle qu’à la fin de la République, ces cadres spatiaux furent instrumentalisés par les chefs populaires, qui en firent des structures de mobilisation politique, cause de l’interdiction provisoire par le Sénat des jeux liés aux Compitalia (64). Inspiré par la même méfiance, César renouvela cette interdiction mais utilisa par ailleurs les quartiers pour procéder au recensement des habitants de Rome. Auguste sut tirer les leçons de ces expériences diverses.
Le troisième chapitre sur « The Reforms of Augustus » représente évidemment le coeur du livre et son passage le plus original. La réforme augustéenne des quartiers n’est qu’une pièce d’une réorganisation plus générale de l’administration de Rome et correspond au nouveau découpage de la Ville en quatorze régions (7 av. J-C.). En procédant ainsi, Auguste assume l’héritage royal de Servius Tullius. Par certains côtés, il s’inscrit dans la filiation des tribuns populaires, puisqu’il réautorise les ludi Compitalicii, mais dans une finalité toute autre, décidée à faire du quartier un relais de l’administration urbaine. Le prince offre des statues pour embellir certains quartiers mais J. Bert Lott conteste la théorie dominante, due à L. Ross Taylor, qui veut qu’il ait installé le culte de ses Lares familiaux et de son Génie sur l’autel de chaque quartier.
Le dernier chapitre, « The Artifacts of Neighbourhood Culture », s’appuie sur les témoignages matériels, autels et inscriptions, pour comprendre le fonctionnement social de ces unités. La réforme s’accompagna de travaux d’embellissement et d’installation de nouveaux autels, dont celui du vicus Sandalarius (représentant Auguste et sa famille) est l’exemple le plus célèbre. Auguste réaffirma le rôle des magistrats de quartier, élus annuellements et dotés de la toge prétexte (il en était déjà de même sous la République). Choisis essentiellement parmi les affranchis, il se livrèrent à un jeu de compétition calqué sur celui des aristocrates. L’évergétisme en fut l’instrument essentiel et l’auteur nous donne dans cet esprit une brillante analyse de la carrière de Numerius Lucius Hermeros, trois fois magistrat, qui, à chacun de ses mandats, offrit des statues de dieux (Mercure, Hercule, Vénus) à son quartier.
Au fil de cette démarche synthétique, J. Bert Lott aborde de nombreux débats délicats associés à l’étude des quartiers. Tel est le cas du lien entre les vici et les collèges, que l’interdiction de 64 semble avoir également concernés. Selon l’auteur, magistrats de quartier et magistrats de collège n’étaient pas identiques mais célébraient conjointement les ludi Compitalicii, les seconds se chargeant plus spécialement de collecter l’argent nécessaire. Tel est aussi le problème crucial de la nature des Lares Augusti, honorés sur les autels de quartier. Pour J. Bert Lott, l’épithète « Auguste » servait à souligner le lien privilégié des quartiers avec le prince, non de rappeler le caractère familial des Lares, en dépit du témoignage d’Ovide (Fasti, 5, 145‑146), suggérant qu’Auguste avait installé ses Lares et son Génie dans les quartiers de la Ville. L’argumentation de l’auteur paraît parfois un peu laborieuse (surtout pour la seconde question) mais ces exemples illustrent l’acuité de son esprit d’analyse autant que la largeur de sa vision synthétique.

Christophe Badel