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La Collection des Universités de France s’emploie à combler une lacune en proposant une édition, accompagnée d’une traduction française et de notes, des Noces de Philologie et de Mercure de Martianus Capella. Le premier livre de ce programme à avoir vu le jour est le livre VII, L’arithmétique, édité et traduit par J.-Y. Guillaumin en 2003. C’est M. Ferré qui lui emboîte le pas aujourd’hui avec le livre IV, consacré à la dialectique. Après avoir rappelé que Martianus Capella est né en Afrique du Nord, « terre d’élection pour la dialectique », M. Ferré situe l’épisode que constitue le livre IV à l’intérieur du scénario des Noces : Mercure va épouser la femme la plus savante du temps, Philologie, et il lui offre sept « servantes », Grammatica, Dialectica, Rhetorica, Geometria, Arithmetica, Astronomia, Harmonia, allégories des sept arts libéraux, dont les discours forment les livres III à IX de l’ouvrage. Rapidement (cinq pages environ), l’éditeur présente le genre littéraire qu’a choisi l’Africain, celui de la « satire ménippée », qui mélange prose et vers, et ses antécédents. Le lecteur reste un peu sur sa faim : on s’étonne que comme antécédent romain ne soit citée que « la Satire ménippée » (sic, comme le pamphlet politique dirigé contre la Ligue en 1594 !) de Varron {{1}}. On s’étonne que ne soit pas mentionnée L’Apocoloquintose du divin Claude de Sénèque. L’essentiel de l’étude, une cinquantaine de pages, est philosophique et porte sur la dialectique : dialectique et arts libéraux, la logique d’Aristote, l’école mégarique et les « dialecticiens », la logique des stoïciens, l’introduction de la logique à Rome, la renaissance aristotélicienne, l’organon Latinum et la dialectique tardive, dialectique et sagesse, le livre IV du De nuptiis dans la tradition de la dialectique romaine, etc. Après l’exposé du contenu du livre IV, paragraphe par paragraphe, une quinzaine de pages traite des principes d’édition suivis par l’auteur ainsi que de ceux de ses prédécesseurs, et décrit les neuf manuscrits retenus. Vient une « bibliographie succincte » (pour ce qu’il appelle « la bibliographie générale », comme pour la liste des éditions, l’auteur renvoie à l’édition du livre VII VII par J.‑Y. Guillaumin). L’ouvrage se termine par trois index : index exemplorum, index nominum, index uerborum. Le texte proposé diffère de celui des éditeurs antérieurs en une petite quinzaine d’endroits environ. M. Ferré ne justifie jamais ses conjectures du point de vue de la paléographie. Le latin de Martianus Capella est souvent obscur, et, dans l’ensemble, M. Ferré offre une traduction lisible, la plupart du temps à la fois juste et élégante, ce qui est un grand mérite. Il est des passages, cependant, où l’on aimerait qu’il explique pourquoi il traduit comme il le fait (par exemple en 424, sub orsis, « aux oreilles »). Le contenu de ses notes est essentiellement de nature philosophique. Il y élucide fort utilement un certain nombre de notions. De multiples loci similes y sont recopiés et traduits. On regrette qu’il n’y ait rien sur la morphologie, rien sur la syntaxe de Martianus Capella, rien sur son vocabulaire, pourtant si recherché dans les passages travaillés, qu’il n’y ait aucune étude de sa langue ni de son style. Si le commentaire grammatical fait défaut, il en va de même du commentaire littéraire. Pourtant la façon dont sont décrits les dieux au début du discours de Dialectique n’est pas sans rappeler des scènes de l’arrivée de Claude chez les divinités dans l’Apocoloquintose. En outre, alors que certaines parties du texte sont en vers, il n’y a pas une allusion à la prosodie ou à la métrique. L’éditeur ne dit nulle part quels sont les vers utilisés. Dans la prose, il ne relève aucune clausule, alors que, par exemple, dans l’introduction de sa conférence, Dialectique multiplie les dichorées : comparauit (335), prolocuntur (336), explicari (337), etc.
Pour une seconde édition, il faudra corriger les quelques fautes d’impression, traduire ce qui a été oublié (par exemple 388, sed etiam ipsa in hominem cadit, ou encore 423, festinantis), accorder en certains endroits apparat critique et texte latin proposé (ainsi en 363, l’apparat critique indique : « ut nonnulla ego », et on lit dans le texte: et nonnula, ce qui est la leçon des manuscrits).
Quoi qu’il en soit, malgré ses lacunes, cet ouvrage, qui ne manque pas par ailleurs de qualités comme on l’a vu, et qui est, à ma connaissance, la première traduction en français de ce livre IV (alors qu’il a été traduit dans d’autres langues), rendra d’ores et déjà d’immenses services.

Lucienne Deschamps

[[1]]. Alors que tous les témoignages sur cette oeuvre la nomment au pluriel Saturae Menippeae, ce qui est normal puisqu’elle contient cent cinquante livres de plusieurs satires chacun.[[1]]