< Retour

Les inscriptions cotées dans les IG II 2 1553-1578, auxquelles ont pu être ajoutés, grâce aux fouilles de l’Agora, d’autres fragments, ont été classées de par leur homogénéité dans un ensemble connu sous le nom de Catalogi paterarum argentearum et, depuis leur découverte, l’idée qu’y étaient retranscrites des manumissions était unanimement acceptée. Par référence aux phialai exeleutherikai présentes dans les inventaires de l’Acropole dans la seconde moitié du IV e siècle et à l’existence, dans le droit athénien, de la dikè apostasiou, dans laquelle un ancien maître avait la possibilité de poursuivre un esclave certes affranchi, mais qui avait totalement délaissé ses obligations légales envers lui, les savants, depuis la fin du XIX e siècle, avaient admis que ces inscriptions représentaient la formalisation juridique de la victoire des esclaves affranchis. C’est précisément cette explication traditionnelle qu’E.M. remet en question dans ce livre.

Celui-ci est organisé en deux parties distinctes. La première, « History », étudie les caractéristiques de ces inscriptions, les interprétations qui en ont été données et présente la thèse de l’auteur, tandis que la seconde, « Epigraphy », propose une édition – sans traduction, mais le caractère répétitif des formules l’aurait rendue lassante – de l’ensemble de ces inscriptions, toutes datables du dernier tiers du quatrième siècle, avec de nouvelles lectures, utilement résumées à la fin de l’ouvrage.

On doit souligner à nouveau, malgré quelques variantes, l’aspect uniforme de ces textes quasi contemporains les uns des autres : « Untel, habitant le dème X, libéré (ou échappé) de Untel, du dème Y, a consacré une phiale d’une valeur de cent drachmes ». Reprenant le travail de D.M. Lewis qui avait réuni sept fragments en une seule stèle, E.M. livre de nouvelles et précieuses lectures (excellentes photographies), regroupe des fragments – elle aboutit à 18 stèles au plus – qui permettent de donner à présent un texte désormais fiable à ces inscriptions rédigées sur des stèles opistographes. Une étude prosopographique intéressante montre que, parmi les personnes impliquées, 111 vivent à Athènes, 54 au Pirée, 23 dans les faubourgs d’Athènes et 39 seulement dans le reste de l’Attique.

E. M. fournit aussi une interprétation très intéressante de ces inscriptions. Dans une atmosphère « lycurguéenne » – terme que l’on prendra au sens élargi puisque la majorité d’entre elles paraissent avoir été retranscrites entre 340 et 325 – on aurait voulu regrouper sur l’Acropole les phiales, alors fondues, mais dont on aurait gardé trace en gravant sur la pierre les dédicaces qu’elles portaient. Ce qui expliquerait les variantes de rédaction. Nous aurions là non point une publicité des actes de jugement, mais un simple exercice de comptabilité publique comme les Athéniens en étaient si friands. Explication, il faut bien le dire, à la fois claire et astucieuse (p. 59-63) que l’on acceptera volontiers.

Par contre, je serais beaucoup plus prudent avec la thèse centrale : E. M. rejette l’idée jusqu’alors prévalente de l’origine de ces phiales. Pour elle, elles ne sont pas le produit d’une dikè apostasiou interjetée contre un ancien esclave mais d’une dikè aprostasiou, lancée contre un métèque – on comprend alors le titre du livre – qui n’aurait pas le prostatès que la loi impose ou n’ayant pas payé le metoikion (p. 28). Les phiales seraient alors le produit de la dîme d’une amende de mille drachmes versée par les accusateurs déboutés, mais gravées au nom du vainqueur – hypothèse il faut bien le dire assez difficile à envisager. E. M. écarte donc la thèse établissant que l’on a affaire ici à des manumissions bien que le principe d’une dédicace après affranchissement était monnaie courante en Grèce. De fait, on voit mal ce que seraient, dans cette hypothèse, les phialai exeleutherikai mentionnées dans les inventaires de l’Acropole… On peut rester dubitatif sur cette tentative de bouleverser des positions traditionnelles : ce n’est pas parce qu’une thèse est ancienne qu’elle est fausse ni parce qu’elle est iconoclaste qu’elle est vraie. Un ouvrage qui fera donc date à mon sens plus par sa rigueur épigraphique que par la thèse historique qui est défendue.

Patrice Brun