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Dans cette courte étude d’une centaine de pages (139 très exactement avec les annexes), l’Auteur veut montrer que le sanctuaire d’Olympie est révélateur aussi bien d’une identité panhellénique, pour laquelle l’invasion perse a été un catalyseur essentiel, d’une unité culturelle des poleis grecques à l’époque classique, que d’une identité locale, de particularités propres à chaque cité : l’enjeu est de taille quand on pense qu’il pouvait y avoir plus de 862 poleis en 400 avant notre ère (on renvoie ici à l’Inventory of Archaic and Classical Poleis édité par M.H. Hansen et T.H. Nielsen lui-même en 2004). Deux chapitres veulent rappeler que l’athlétisme, la compétition sportive sont un phénomène typiquement hellénique qui trouve à Olympie son haut-lieu : comme on sait, seuls les Grecs étaient admis à concourir, et ce n’est pas un hasard si le mot « hellanodices » apparaît entre 500 et 475, c’est‑à-dire au moment de la confrontation entre Grecs et Perses. Un chapitre est dédié à la question de la nudité athlétique et l’A. s’interroge comme beaucoup sur l’apparition de cette pratique. Si sa position semble raisonnable, il est cependant un peu audacieux d’écrire (n. 72, p. 23) que « Archaeological evidence… conclusively demonstrates that Hellenic athletes had competed in the nude generations before the Classical period » : l’existence du Groupe au Périzôma et les conventions artistiques ne peuvent pas être passées sous silence. La présentation du passage de Denys d’Halicarnasse (Ant. Rom., 7, 72) sur cette question n’est pas non plus sans défaut : d’ailleurs, les Étrusques, tout barbares qu’ils sont, n’ont pas tellement refusé cette nudité athlétique, à tel point qu’on pourrait se demander, d’après l’iconographie, s’ils n’ont pas adopté cette pratique en même temps que les Grecs (ou même avant…) Pour autant, ils n’ont sûrement pas été admis à des concours panhelléniques comme certains voudraient le croire – mais c’est plutôt Delphes qui est ici visé, d’après une inscription du monument des Thessaliens de Pharsale.
Si, pour l’A., compétitions et nudité athlétiques sont bien des marqueurs de l’identité hellénique, l’administration d’Olympie ne manque pas de mettre en lumière le rôle particulier et l’identité locale d’une cité comme Élis qui a tendance à s’identifier au sanctuaire (à ce sujet, on aurait pu citer l’article de Chr. Wacker sur le gymnase d’Élis dans Nikephoros 10, 1977, p. 103-117). Qu’il s’agisse aussi de Sparte ou de Pise, c’est l’orgueil et le prestige de chaque cité considérée individuellement qui sont liés à l’histoire du sanctuaire d’Olympie. Mais le festival d’Olympie est l’événement qui rassemble le plus de monde dans tout le monde grec, même si la documentation sur les participants n’est pas très explicite : en tout cas, le stade, vers 350, devait avoir une capacité de 45 000 spectateurs, ce qui est assez exceptionnel pour la Grèce antique, et même si c’est un chiffre très modeste par rapport à la situation sportive à Rome (150 000 spectateurs pour le Circus Maximus – mais après tout le Stade de France ne peut recevoir que 80 000 spectateurs !) Ces spectateurs viennent de tout le monde grec, et les vainqueurs, les olympioniques, entre 480 et 324, appartiennent à pas moins de 65 cités. En fait, tout le monde sait ce qui se passe à Olympie, qui est le sanctuaire le plus prestigieux du monde hellénique, et le système des théores et des théorodoques favorise l’existence d’un véritable réseau.
En même temps, les grandes proclamations, les inscriptions souvent sur bronze, les offrandes multiples et diverses faites à Olympie renforcent la gloire de ceux qui les font et en particulier des cités qui affermissent ainsi leur propre identité. Il y a peut-être 100 000 casques, provenant du butin obtenu à la suite de victoires militaires, qui ont été dédiés à Olympie aux VIIVIIVIIe et VIVIe siècles ! Sans insister sur les sculptures, l’érection de Trésors est particulièrement significative : elle est souvent ici le fait de colonies. Mais, comme il est bien normal dans ce haut-lieu du sport hellénique, ce sont les victoires athlétiques qui permettent le mieux d’exalter la puissance et la gloire des cités : qu’il s’agisse des proclamations ou des bases de statues, le nom du vainqueur est à chaque fois accolé à celui de sa communauté qui ne manque pas de le récompenser de bien des façons, et même dans certains cas, ce que l’on oublie trop souvent, par de l’argent. Par ailleurs, on doit aussi rappeler que, dans les compétitions hippiques, les cités pouvaient être directement victorieuses en tant que propriétaires des chevaux et des chars (et il en était de même pour les femmes). Il est donc tout à fait clair que le succès des olympioniques retentissait sur l’image de la cité et que finalement, d’une certaine façon, les concours olympiques étaient bien une compétition entre cités, même s’ils contribuaient aussi à les rapprocher en marquant fortement la frontière avec l’ensemble des Barbares.
Si ce petit livre n’apporte certes pas de révélations extraordinaires sur le sanctuaire et les concours d’Olympie, il est bien informé sur les découvertes récentes et écrit avec clarté. On suit donc avec intérêt le double propos de l’A. qui s’appuie sur des documents littéraires, épigraphiques et archéologiques présentés avec soin et judicieusement utilisés.

Jean-Paul Thuillier