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La réflexion sur ce qu’il est convenu désormais d’appeler la culture politique de la République romaine progresse. Les apports du livre récent de Harriet I. Flower (Roman Republics, Princeton-Oxford, 2010) commencent à produire leurs effets. S’il est vrai, comme elle l’établit de façon convaincante, qu’il n’y a pas eu une République romaine animée d’une culture politique continue et cohérente, mais plusieurs phases, chacune animée d’une culture politique différente, la recherche va s’employer à les identifier et à examiner les moteurs et les effets de la transition de l’une à l’autre. C’est à ce type d’interrogation que tente de répondre J. A. Rosenblitt en examinant la période syllanienne et celle qui a suivi. Elle reprend les sources littéraires et étudie la dictature de Sylla, son caractère traumatique, ses effets immédiats, le contexte politique qu’elle a engendré et la mémoire que la postérité en a conservé. Elle essaye de caractériser la nouvelle culture politique que cet épisode aurait mis en place et qui s’appliquerait au fonctionnement de la République jusqu’à la monarchie césarienne. Pour ce faire, elle privilégie les sources contemporaines, le Pro Roscio Amerino de Cicéron et les Histoires de Salluste. Elle met en lumière le climat d’instabilité et d’insécurité que les conséquences des proscriptions auraient provoqué et particulièrement les effets de l’exclusion des enfants des proscrits de la vie civique ; comme si la violence de la guerre civile avait fait perdre aux contemporains toute confiance dans les institutions. Cette conclusion à laquelle parvient J. A. Rosenblitt peut parfaitement être admise, mais elle n’a rien de révolutionnaire. Il ne faut pas perdre de vue cependant que la recherche de légitimité de Sylla s’appuyait sur l’idéalisation d’un système politique aristocratique qui aurait pu servir de référence à une culture politique de restauration mais qui était vouée à l’échec. Les conditions nouvelles et réelles de fonctionnement ne permettaient plus à cette aristocratie qui prétendait toujours à l’égalité entre pairs, de se reproduire sous cette forme. De ce point de vue, le recours aux seules sources contemporaines est insuffisant. Pour rendre compte des justifications syllaniennes, il faudrait notamment prendre bien davantage en compte le programme politique conservateur tel qu’il était souvent énoncé dans les discours fictifs que Denys d’Halicarnasse attribuait aux protagonistes du conflit des ordres. De tels argument installés dans le passé anticipaient sur la politique du premier siècle et en quelque sorte la normalisaient. Ces projections rétrospectives jouaient dans la construction de la mémoire et la légitimation des actes un rôle important ; plus que ne pouvait le faire par exemple, l’euphémisation de la violence que l’esthétisation littéraire était susceptible de produire pour apaiser les tensions (évoquée p. 88-89, quel rapport entre la guerre civile et le relief de Domitius Ahenobarbus ?). D’une façon générale le livre de J. A. Rosenblitt est une contribution utile à la réflexion et au débat sur les conditions de la vie politique à la fin de la République romaine. A l’évidence, il ne les clôt pas.

Jean-Michel David, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Publié en ligne le 11 juillet 2019