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Cet ouvrage de petit format est, comme le veut la collection, un recueil de textes divers consacrés à un thème, en l’occurrence le sang. Le lecteur sera peut-être surpris de lire ceci sur la quatrième de couverture : « L’imaginaire collectif contemporain perçoit l’Antiquité comme sanguinaire », ou encore ceci, p. 239 : « Aujourd’hui, l’Antiquité fantasmée est rouge ». Que dire, dans ces conditions, des hordes de Tamerlan, des guerres napoléoniennes, du Goulag ? Françoise Héritier, dans un Entretien qui ouvre le livre, s’étonne avec raison : « Je n’ai jamais vu l’Antiquité comme noyée sous l’aspect sanguinaire de la brutalité pure, absolument pas » (p. XVII). En admettant l’hypothèse d’une Antiquité à jamais sanguinaire, on aurait voulu avoir son content, mais on cherche en vain, parmi les textes rassemblés, les massacres de Corcyre (Thucydide) ou bien les atrocités commises par Agathocle, le tyran de Syracuse (Diodore), pour ne citer que ces exemples. À la place, on trouve des témoignages portant non pas sur la Grèce ou Rome, mais sur des peuples barbares (sacrifices humains chez les Scythes, cruauté de la reine des Massagètes etc.), ou encore des textes qui sont soit sans rapport avec le sujet (lois concernant les funérailles, banquets des dieux etc.), soit dans un rapport lointain (rougissement du visage, pâleur) ou métaphorique (le vin, sang de la vigne). Mais, dira-t-on, dans une anthologie, les choix sont toujours discutables. En outre, les mythes sanglants des Atrides et des Labdacides, fortement présents dans le recueil, ne sont jamais éclairés par la moindre allusion à la théorie aristotélicienne de la katharsis ; le lecteur n’est donc pas amené à établir une distance entre la réalité de la violence extrême et la représentation littéraire de cette violence, et l’appel à la réflexion semble se limiter à des calembours mis en titres : crimes et sentiments, voir rouge, champ d’horreur, la vie en rouge, à corps ouverts, aux sévices de sa majesté etc. Le titre du livre, Rouge sang, n’a sans doute pas la pertinence attendue : car le sang est noir chez Homère et il l’est encore, huit siècles après, chez Virgile, la perception et la transcription des couleurs chez les Anciens étant fort éloignées des nôtres. On aurait souhaité un petit index thématique, comme dans d’autres volumes de la collection, et on aurait voulu savoir qui était Darès le Phrygien (p. 38), lequel, contrairement à Hérodote, Sophocle, Tacite etc., n’a pas droit à une notice biographique.

Bernard Eck

mis en ligne le 4 juillet 2016