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Annie et Maurice Sartre poursuivent leur recensement des inscriptions de Syrie du Sud avec ces deux volumes consacrés à la Batanée et au Jawlān oriental, après celles du Trachôn et de ses bordures (Presses de l’Ifpo, 2014, IGLS XV), de Bosra (fasc. 1 et 2) (Presses de l’Ifpo, IGLS XIII, 1982 et 2011). La région concernée est celle qui s’étend, dans la partie occidentale du Ḥaurān, des limites de la Damascène au nord jusqu’à Der‘ā et la frontière jordanienne au sud, et entre la voie de chemin de fer Damas-Der‘ā, à l’est, et les limites du gouvernorat de Qunayṭrā, à l’ouest.

Ces deux volumes présentent 796 inscriptions dont 388 sont inédites et ont pu être publiées grâce à un gigantesque travail de prospection effectué récemment (jusqu’en 2011), avant d’être interrompu par la guerre. Les inscriptions sont présentées par site et par ordre géographique, du sud vers le nord. Une carte, en début de chaque volume, qui précise le statut de chacun des lieux (cités, évêchés, métrokômiai, devenues ou non évêchés) permet de les localiser. On peut peut-être regretter l’absence d’une grille de coordonnées, qui aurait pu permettre à ceux qui ne sont pas familiers de la région de se repérer plus facilement, mais cette dernière n’est pas si étendue qu’on ne puisse aisément s’y retrouver.

Seules 6 inscriptions sont rédigées en latin, et toutes les autres le sont en grec ; il n’y a aucun texte bilingue. Les inscriptions funéraires forment un ensemble particulièrement abondant (64 %), avec de très nombreuses stèles simples, riches d’enseignement sur l’onomastique de la région, mais aussi de belles épitaphes en vers, témoins des goûts et de la culture des élites régionales. Quelques autres ont été écrites sur des linteaux, ce qui atteste l’existence de constructions funéraires monumentales. On dénombre enfin des dédicaces à des personnages officiels, des commémorations de constructions diverses, et des dédicaces religieuses (païennes, juives et chrétiennes). Ces dernières sont relativement peu nombreuses, mais constituent un apport décisif en matière d’onomastique religieuse et de créations d’évêchés, et révèlent l’existence d’églises et de couvents d’obédiences diverses.

On dénombre assez peu d’inscriptions datées (54 seulement), mais il est possible de déduire la datation de nombreuses autres, à partir des références à des personnages officiels ou de l’indication de l’ère officielle de telle ou telle cité. Ce vaste corpus témoigne donc de multiples aspects de la vie de cette région, du Ier s. au VIè s. de notre ère.

Les inscriptions proviennent de 56 sites, dont une bonne partie sont peu connus : Adraa-Der‘ā (1-243b), Weli Abu’l-‘As -al-Deir (244-245c), Sheikh Abu’l Ba‘ās (246), Sheikh al-Kūfī (247), ‘Ataman (248-252), Yādūdeh (253-258d), Khirbet Sa’adeh (259), Ṭafas (260-293),Tell Abyaḍ (293a), Dion-Tell al-Ash‘ārī (294-298a), Khirbet al-Ba‘aleh (298b), Mzeirīb (299-307), Khirbet Samak (308), Tell Shehāb (309-311) Zizious-Zeizūn (312-316), Jillīn (317-320a), Golan-Sahem al-Jawlān (321-328), Ḥeiṭ (329-337b), ‘Abdīn (338-338c), Jamlah (339), Thersila-Tsīl (340-343), ‘Adawān (343a), Sheikh Sa‘ad (Deir Eyūb) (344-348j), Al-Ṭīreh (348k), Dā‘il (349-362), Bota-Obṭ‘a (363-404), Neapolis-Sheikh Meskīn (405-432a), Raïfa (433-434), Neve-Nawā (435-441c) et ses milliaires (M1-M6), Dillī (442) , Fekī‘ (443), Maaga de Batanée-Muḥajjeh (443a-447a), Gasimea-Jāsem (448-457), Neeila-Inkhil (458-469a), Simlīn (470-481), Namara-Namr (482-484), Eutimia ? Al-Ḥārrah (485-506), Deir Mākker (507-508), Ṭayḥa (509), Akraba-‘Aqrabāt (512-531), Kafr Nāsij (532-532e), Kafr Shams (533-541a), Asicha-Umm al-Usīj (542-545), Zimrīn (546), Qeiṭa (547), Airè-Ṣanamein(548-577), Tibneh (578-585a), Bathyra-Baṣīr (586-587), Jebāb (588-591a), Mutbīn (592-592f), Deir al-‘Adas (593-596), Obaeba-Ghabāgheb (597-606), Kanākir (607-610), Bu‘aiḍān (611). Les inscriptions (612-630) sont de provenance imprécise, mais peuvent être avec une incertitude assez mince attribuées à la région concernée. Elles sont conservées au Musée National de Damas, dans la citadelle de Boṣrà, au dépôt des Antiquités ou au Musée de Der’ā, au musée Hama, ou ont été enregistrées dans les années 1920-25 à l’Institut Français d’Études Arabes de Damas.

Le premier volume débute par une riche introduction générale d’une vingtaine de pages, qui présente la géographie et l’histoire de cette région, et un bilan historiographique. Elle apporte ainsi au lecteur une vision précise et éclairante de la région, des sources antiques et médiévales qui la mentionnent, des explorations des voyageurs et des travaux scientifiques du XIXè siècle à nos jours. Elle se poursuit avec des synthèses sur l’apport de ce corpus, tant à la connaissance des habitants de la région et de leurs occupations dans l’Antiquité, du contexte socio-économique qu’il révèle, que de la vie religieuse.

Le catalogue lui-même est organisé en chapitres, localité par localité, précédés eux aussi d’une notice exhaustive et synthétique sur chacune d’entre elles. Ces présentations sont naturellement d’une importance variable, en fonction de la nature et du statut du lieu. Ainsi, celles des cités est-elle particulièrement fournie.  On comprend aisément que celle de Der’ā- Adraa soit longue d’une douzaine de pages, puisqu’il s’agit de la principale cité antique de la région et que celle-ci a fourni plus de 240 inscriptions (en comparaison des cinq pages sur Dion-Tell al-Ash‘ārī, et des deux pages sur Néapolis-Sheikh Meskīn, pour lesquelles on recense respectivement 9 et 29 inscriptions). Celle-ci résume l’histoire du site, de son toponyme et des prospections antérieures, fait état des attestations textuelles, et replace l’apport de l’épigraphie par rapport aux sources archéologiques et numismatiques. Pour autant, certains villages plus modestes bénéficient d’un traitement similaire et d’une introduction presque équivalente.

Pour chaque inscription, sont répertoriés l’emplacement du lieu de découverte précisément localisé, soit d’après les publications précédentes, qu’elles aient pu être ou non identifiées ou retrouvées récemment par A. et M. Sartre ; le lieu de leur conservation, s’il est connu ; et éventuellement les références bibliographiques antérieures. Suit une brève description du support de l’inscription, sa transcription critique en grec (ou en latin), sa traduction en français, et d’éventuelles précisions que l’on peut apporter à sa datation. Enfin, le commentaire permet de la mettre en relation avec d’autre(s) inscription(s) de la région ou d’ailleurs, de donner des précisons critiques, sur le texte établi, ou d’ordre onomastique, par exemple. Le catalogue offre en outre une illustration abondante, photos originales de A. et M. Sartre, ou relevé(s) plus ancien(s).

À la fin du second volume, on trouvera, à la suite du catalogue, une table des concordances entre les mentions et publications antérieures des inscriptions et les numéros qui leur sont attribués dans l’ouvrage, classées par auteur. Vient ensuite une bibliographie fournie, de 14 pages. Des index très précieux pallient l’absence, dans les chapitres, de classement thématique : dieux, héros, allégories, saints et personnages mythologiques ; rois, empereurs et famille impériale ; gouverneurs, noms propres en grec ; ethniques et noms géographiques ; mots grecs ; un index orthographique ; noms et mots en latin ; inscriptions datées ; enfin, un index général, des mots en grec, en français et en latin.

Ce sont les sept premiers siècles de notre ère de toute une région active depuis des millénaires, restée cependant archéologiquement assez peu explorée dans l’ensemble, malgré son importance géopolitique reliant les provinces d’Arabie, de Palestine, du Liban et de Syrie, qui sont ainsi éclairés dans ces deux volumes. Leur apport est indéniable, tant pour les épigraphistes que pour les chercheurs d’autres disciplines, qu’ils soient ou non familiers de la Syrie. Ils fournissent à la fois synthèses précieuses et études détaillées qui viennent compléter les ouvrages antérieurs des mêmes auteurs sur ce pays, dont ils sont depuis longtemps des experts reconnus.

Sylvie Blétry, Université Paul Valéry Montpellier 3

Publié en ligne le 12 juillet 2018