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Sous ce titre qui évoque l’ouvrage célèbre de M. Rambaud, L’art de la déformation historique dans les commentaires de César, Paris, 1952, M. Schauer, professeur de philologie à l’Université de Bamberg, étudie la manière littéraire de César écrivain et sa pratique d’un récit historique qui le met lui-même en scène comme général et conquérant de la Gaule. Le livre est divisé en deux grandes parties. Dans la première (“Historische Vorausetzungen”, p. 20-78), l’auteur propose une description de la République finissante et un récit (souvent simplifié) des événements politiques qui ont conduit à la nomination de César comme proconsul d’Illyricum, de Cisalpine et de Transalpine. Dans la seconde, nettement plus longue (“Nachrichten aus dem Norden—Caesars Commentarii, p. 85-231), l’étude se concentre sur deux aspects : 1-l’invention d’un nouveau genre littéraire ; 2-celle de l’histoire, dans laquelle M. Schauer analyse essentiellement la déformation (“Täuschung”) du récit et les procédés littéraires destinés à mettre en scène le vainqueur pour la plus grande gloire de celui-ci. L’étude est écrite sans notes érudites, ce qui ne facilite pas toujours le travail de recoupement critique du lecteur ; la bibliographie, principalement de langue allemande, est bien loin d’être complète (les travaux en italien et en français, hormis l’ouvrage de Rambaud, sont pratiquement absents).

On peut traiter de la guerre des Gaules sous trois aspects : par la critique philologique, par l’analyse historique, à quoi s’ajoutent aujourd’hui des documents archéologiques non seulement sur le conflit même, mais aussi sur l’état réel de la Comata au moment où César entame sa conquête. Inutile de dire que ce dernier aspect est totalement ignoré dans cet ouvrage, alors que, même du strict point de vue de l’approche littéraire classique, des épisodes comme ceux de Gergovie —dont les défenses viennent de faire l’objet de plusieurs mises au point importantes— ou d’Alésia permettent heureusement de décortiquer, par confrontation des différents types de sources, l’écart qui existe entre le texte césarien et la réalité du terrain. Quant à l’approche historique, elle est limitée à l’information nécessaire au lecteur peu familier des faits et n’appelle pas ici, compte tenu de son objectif limité, de commentaire particulier.

Reste la critique philologique, incontestablement effectuée par un bon spécialiste, mais qu’il faudrait sans doute commenter dans le détail pour rendre compte de ses apports précis. Beaucoup a déjà été écrit sur la question mais on peut suivre l’auteur dans l’essentiel de son analyse critique des procédés littéraires de César et sa manière de se mettre en scène, de “gauchir” à son avantage (plutôt que de “falsifier”) la présentation des faits, en essayant de se faire passer pour un narrateur objectif et neutre, au-dessus de la mêlée. Le chapitre le plus intéressant et le plus finement étudié est sans doute celui dans lequel M. Schauer replace l’entreprise césarienne dans le contexte de la tradition historique romaine et les débats qui agitaient alors les milieux littéraires de l’Urbs. L’auteur analyse ici de manière intéressante (mais pas complètement inédite) l’invention par César d’un genre de récit qui lui est propre.

Au total cet ouvrage, sans être strictement destiné au grand public ni d’ailleurs aux spécialistes de cette période, sera surtout utile aux étudiants de langue allemande et aux philologues.

Michel Reddé