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Faire du neuf avec du vieux serait l’expression la plus adéquate pour résumer l’ouvrage de Florian Steger, Asklepios. Medizin und Kult. L’auteur explique dans son avant-propos qu’il s’agit ici d’une version abrégée et remaniée de Asklepiosmedizin. Medizinischer Alltag in der römischen Kaiserzeit publié en 2004 et qu’il se plaît à signaler comme aujourd’hui épuisé. Cette raison semble donc être à l’origine de la publication de 2016.

Les chapitres du premier volume sont repris dans le second à l’exception de l’ancien chapitre IV, afin de mieux resserrer le sujet autour de la médecine asklépiéienne.

Deux articles déjà parus ont été intégrés à l’ensemble : l’un sur le culte du Neos Asklepios Glykon institué par Alexandre d’Abonuteichos, et l’autre sur les hymnes en prose d’Aelius Aristide, qui a été publié la même année 2016 dans l’ouvrage collectif In Praise of Asklepius.

La bibliographie a été mise à jour avec les dernières références s’arrêtant à 2014. Toutefois, il paraît surprenant que dans une étude qui entend faire le point sur un domaine si particulier de la religion grecque, l’a. n’ait pas tenu compte de l’ensemble des publications récentes concernant Asklepios et plus généralement, les cultes guérisseurs. Si on admet qu’il était difficile d’inclure des ouvrages parus en 2015 comme celui de H. Von Ehrenheim, Greek Incubation Rituals in Classical and Hellenistic Times (Supplément Kernos 29), on comprend moins aisément les raisons de l’ostracisme concernant bon nombre de références de langue française. Ainsi, les seuls articles de D. Gourevitch et J. Jouanna, deux figures internationales incontournables du monde de la médecine, que l’a. a exploités – sont extraits de la traduction en allemand en 1996 de l’ouvrage de M.Grmek. La méconnaissance de la langue française par F. Steger serait donc une des explications de l’absence de C. Nissen, Entre Asclépios et Hippocrate. Étude des cultes guérisseurs et des médecins en Carie (2009), de C. Prêtre & Ph. Charlier, Maladies humaines, Thérapies divines. Analyse épigraphique et paléopathologique de textes de guérisons grecs (2009), ou encore de P. Sineux, « Pour une relecture des récits de guérison de l’Asklépieion de l’île Tibérine » (2008) (parmi tant d’autres écrits de ce grand spécialiste d’Asklepios). On peut toutefois en douter partiellement quand on voit qu’ont été également omises des publications comme B.A. Martens, « Asklepios in the Domestic Spaces of Roman and Late Antique Greece » (2014) ou encore H.F.J. Horstmanshoff, « “Did the God Leam Medicine?” Asclepius and Temple Medicine in Aelius Aristides’ Sacred Tales » (2004) qui correspondaient parfaitement au sujet de l’a. Ce ne sont que quelques exemples qui prouvent également l’inflation bibliographique des études concernant la médecine divine, mais qui avaient leur légitimité dans les lectures de l’auteur.

Le but annoncé de l’a. est de décrire et contextualiser la médecine d’Asklepios sous l’Empire romain en l’appréhendant à travers la quotidienneté des interventions thérapeutiques décrites par les patients.

Dans un chapitre introductif conséquent, l’a. remet en perspective historique les origines de l’arrivée d’Asklepios à Rome en 293 av. J.-C., en remontant à la fondation du premier temple d’Apollon en 433 av. J.-C. lors de l’épidémie qui frappe la cité. En 431, le temple est dédié à Apollo Medicus pour protéger la population des maladies.

Puis l’a. s’appuie sur la terminologie grecque et latine pour consacrer un long développement aux différents types de professions médicales, qu’elles soient publiques, privées ou militaires. Il reprend avec soin la question des « écoles de médecine » en montrant le danger de la catégorisation, avant de rappeler les origines des traditions médicales en Grèce, à Rome mais aussi en Egypte ou à Babylone. La force de cette méthodologie comparatiste fait cependant parfois sa faiblesse : les diverses sources abordées par l’auteur, qui rejoint en ce sens le volume de référence des Edelstein, ne peuvent être abordées de façon approfondie et occasionnent par moments des juxtapositions surprenantes : ainsi, p. 18, après une remise en contexte de l’arrivée d’Asklepios à Rome, l’a. reconstruit les liens qui existaient entre le dieu grec et Babylone par l’intermédiaire de la figure du chien. Se référant successivement à des sources iconographiques, plastiques, mythologiques ou épigraphiques, l’a. pratique une compilation soignée mais qui ne saurait expliquer son propos et débouche étonnamment sur des considérations étymologiques sur Apollon et la déesse guérisseuse babylonienne Gula. Le remaniement de la version de 2004 aurait d’ailleurs pu être l’occasion de nuancer ou d’enrichir plusieurs passages reproduits mot-à-mot. Certains paragraphes reprennent des concepts très connus, dans un style de jeunesse frôlant parfois la naïveté, quand l’a. félicite de grands spécialistes des sanctuaires grecs de la justesse de leurs idées. Douze ans après, on eût parfois souhaité que la forme mûrisse avec le fond pour souligner la richesse des idées de l’a.

La partie centrale du volume consiste en une étude approfondie de trois textes dans lesquels les patients décrivent leurs expériences de traitement par le dieu. L’a. précise rapidement qu’il écarte toute tentative de diagnostic rétrospectif pour se concentrer sur l’étiologie et la thérapie, en gardant à l’esprit que chaque traitement est à la fois un mélange de rationnel et de cultuel qui ne permet pas toujours de comprendre quel en était le but ni quelle était la maladie traitée. Les diagnostics rétrospectifs – quand ils sont prudents pour éviter l’anachronisme, aident toutefois grandement à la compréhension des modes opératoires de guérisons divines et plusieurs études – en langue française – ont été menées dans ce sens depuis quelques années. L’étude de ces trois cas s’appuie sur un brassage savant des écrits médicaux, allant du corpus hippocratique à Celse et Galien, pour y repérer les parallèles avec la médecine asklépiéienne.

L’a. rappelle que la thérapie employée ne pouvait être obtenue par la pratique d’un médecin public dans la mesure où elle impliquait l’épiphanie du dieu. Sans surprise, au fil du texte, il reprend une définition classique du mode guérisseur asklépiéien : des rituels fondés sur le mythe et le culte combinés à une connaissance empirique rationnelle qui commence à être bien maîtrisée à l’époque concernée. Cette combinaison transparaissait déjà au IVème s. av. J.-C. dans les récits de guérisons d’Epidaure, les iamata, et il est intéressant de voir comment la persistance de ce phénomène de pénétration de la médecine des dieux par la médecine des hommes dans la culture romaine quelques siècles plus tard.

La conclusion du livre rassemble la plupart des sources littéraires et épigraphiques évoquées, accompagnées d’indices très complets.

Grâce à cette nouvelle version d’une réflexion qu’il a approfondie depuis une décennie, l’a. nous propose donc ici une étude des relations entre Asklepios et la médecine rationnelle à une période peu étudiée dans l’histoire des cultes guérisseurs. Nul doute que son ouvrage rendra de grands services aux spécialistes de nombreuses disciplines.

Cl. Prêtre

Mis en ligne le 25 juillet 2017