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Le vingtième cahier de la villa « Kérylos » est entièrement consacré à la villa elle-même et contient les actes du colloque organisé sur place à l’occasion du 80e anniversaire de ce bel et ingénieux pastiche d’architecture hellénistique, né de l’érudition de Théodore Reinach et de l’art d’Emmanuel Pontremoli. À côté de plusieurs excellentes études portant sur le contexte familial ou artistique de la villa (les mécènes de l’époque, le musée Nissim de Camondo, les « folies » architecturales de la Côte d’Azur, etc.), les antiquisants y liront avec intérêt plusieurs communications apportant des points de vue inhabituels sur l’art grec et sa réception moderne. A. Barbet publie trois panneaux peints de la villa Kérylos qui proviennent de la villa de Publius Fannius Synistor à Boscoreale et permettent de reprendre l’étude des décors du péristyle E. H. Lavagne fournit une étude riche en surprise des mosaïques, appuyée en partie sur la découverte de quinze photographies inédites retrouvées dans les archives Reinach : il montre que le célèbre coq qui accueille les visiteurs est une oeuvre moderne et non pas alexandrine ; d’autres mosaïques sont assurément inspirées des originaux déliens, mais une autre partie est d’inspiration purement romaine. L’étude très vivante et très fouillée d’A. Pasquier nous conduit à travers toute la villa du grand délien que fut Th. Reinach, et nous fait contempler la multitude de reproductions de sculptures de toutes tailles qui viennent l’agrémenter : il constate avec surprise qu’aucune d’entre elles ne reproduit un original délien. Il relève en outre la tonalité singulière de cette collection qui n’est pas seulement celle d’un amateur éclairé, mais porte la marque d’un savant parfaitement au courant des trouvailles les plus récentes : plusieurs oeuvres reproduisent en effet des statues qui, à l’époque, venaient d’être découvertes et l’on y trouve même l’Athéna Lemnia dans la version reconstituée en 1891 par Adolf Furtwängler. Sous le titre significatif d’ « invention de la maison grecque », P. Gros nous gratifie d’une analyse extrêmement riche et nuancée de l’architecture de la maison grecque en général et de la villa Kérylos en particulier, en partant d’une critique serrée de la « maison vitruvienne » dont il montre que l’origine se trouve dans les maisons hellénistiques du IIe siècle a.C. dont Vitruve fournit non pas une description fidèle mais une reconstitution théorique. P. Gros fournit ensuite une critique des lectures les plus notoires de ce modèle théorique que sont les interprétations archéologiques successives données par A. Rumpf, F. Pesando et J. Raeder, avant d’en arriver à la réalisation matérielle d’E. Pontremoli : la villa Kérylos, ni pure maison hellénistique, ni application servile du schéma vitruvien, mais mélange de maison délienne et de villa maritime ! Enfin A. Bélis brosse un tableau complet des recherches de Th. Reinach dans le domaine de la musique antique et, à travers une critique de ses principales publications, montre les remarquables acquis et les quelques limites de son oeuvre dans ce domaine où il fut un pionnier.

De ces quelques études émergent donc une passionnante remise en perspective de la villa Kérylos, et, pour l’archéologue comme pour l’historien de l’art antique, une riche matière à méditer, en particulier en ce qui concerne notre conception de l’art hellénistique ainsi que sa réception à l’époque moderne : un régal intellectuel et un bel hommage à la mémoire du savant exceptionnel que fut Théodore Reinach.

Jacques des Courtils