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Ce livre rassemble l’essentiel de ce que nous connaissons de la religion à Pompéi. Nombreux sont les ouvrages, scientifiques ou destinés à un large public, qui évoquent les différents aspects de la vie des habitants de cette cité. En revanche, peu d’entre eux traitent de la vie religieuse. Cet ouvrage, s’appuyant sur la documentation archéologique, propose, en trois parties, un tableau synthétique de la religion dans cette cité : la première porte sur les cultes publics, la seconde sur les pratiques religieuses dans le cadre public, la troisième sur la religion privée.
La première partie se compose de quatre chapitres. Le 1er chapitre, très court, est consacré à la définition juridique du public et du privé mais aussi du sacré. Le 2e chapitre établit l’état des lieux sur le plan religieux afin de définir quels étaient les temples publics, ceux existant avant 80 av. J.-C. et ceux « apportés » par les colons lors de la fondation de la colonia Cornelia Veneria Pompeianorum. Il semblerait que l’essentiel du paysage religieux était déjà en place depuis le IIe s. av. J.-C. La période qui a suivi la fondation de la colonie a été surtout consacrée à réorganiser les cultes et le panthéon des Pompéiens.
Le 3e chapitre porte sur les différents édifices religieux construits sur le côté oriental du forum. Plusieurs d’entre eux ont été identifiés comme ayant un lien avec le « culte impérial » : en tout premier lieu, le temple dit de « Vespasien », considéré par l’A. comme un templum Augusti de par l’iconographie de l’autel en marbre mais aussi de par la présence de sanctuaires augustaux dans les villes voisines. À côté de celui-ci se situe l’édifice d’Eumachia dont le portique porte la dédicace à Concorde Auguste et à Pietas. Selon l’A, le sanctuaire (non identifié) érigé par Mamia, de même que le monument dédicacé par Eumachia sont révélateurs de l’élargissement du domaine d’expression des femmes sur la place publique.
Dans le prolongement du forum, le temple de Fortuna Auguste, construit par un notable pompéien, associe Auguste par la présence d’une statue de ce dernier dans le sanctuaire, vraisemblablement contemporain du complexe impérial sur le forum. D’après W.V.A., le culte du Génie de la colonie, d’Auguste, de Fortuna et Concorde Auguste marque l’association des intérêts de la cité et de ceux de l’Empire. Le dernier sanctuaire étudié se situe entre le temple d’Auguste et le macellum. Pour déterminer sa fonction, l’A. fait un parallèle avec un édifice d’Herculanum considéré non comme un sanctuaire, en l’absence d’autel monumental, mais comme un espace public destiné à rendre hommage à la maison impériale. Sur la base de cet exemple, W.V.A. propose de voir dans le sanctuaire dit des « Lares publics » à Pompéi, un sanctuaire consacré à la domus divina. L’importance de ces sanctuaires liés à l’empereur et à sa famille n’a pas, néanmoins, remplacé les autres cultes de la colonie, dont les temples continuent à être embellis ou restaurés après le tremblement de terre de 62. Ce chapitre, très détaillé, est surtout orienté vers une étude archéologique, ce qui entraîne quelques lacunes sur le plan des pratiques.
Le 4e chapitre, intitulé « Élites et religion publique », s’intéresse en premier à la gestion des sacra dans le cadre public par les pontifes, les augures, les flamines et sacerdotes, tous issus de l’aristocratie locale, de même que les prêtresses publiques de Vénus et de Cérès. Tous les prêtres connus ont été magistrats et c’est avec ces derniers qu’ils partagent leurs fonctions religieuses, selon les cultes et les actes. Il revenait également à ces prêtres et magistrats, mais aussi à d’autres notables, de participer financièrement à la construction et à la restauration des temples. Après 62, les autorités de Pompéi et d’Herculanum font appel à de riches affranchis pour participer à la reconstruction des temples en échange d’une intégration dans la vie politique. L’A. évoque l’intervention des élites dans le contrôle des compita par l’intermédiaire de leurs affranchis ou de leurs esclaves, leur permettant ainsi d’exercer un contrôle social sur la population des quartiers mais il ne s’attarde pas sur le fonctionnement du culte des carrefours dont certains aspects ne sont abordés que dans la 2e partie.
Celle-ci, composée de trois chapitres, est consacrée à l’analyse des structures des temples publics et de leur matériel, aux cérémonies, spectacles et sacrifices et, enfin, au macellum de Pompéi dans le contexte du sacrifice. Cette partie est bien structurée car l’A. s’attache à cerner au mieux les activités dans les temples et leur déroulement. Ainsi, il étudie l’emplacement des sacrifices mais aussi les cuisines et salles de repas, de même que la présence et l’utilisation de l’eau dans les sanctuaires. Il tente de préciser le calendrier des fêtes religieuses à Pompéi et, se fondant sur l’archéologie, de reconstituer le cadre et le déroulement de ces fêtes : sacrifices, processions et spectacles. Le dernier chapitre, ne manquant pas d’intérêt, porte sur le macellum de Pompéi et pose le problème du marché de la viande du sacrifice dans cette cité.
Cette deuxième partie montre l’importance de l’utilisation de l’archéologie au service de la compréhension des rites. En effet, un des problèmes de l’histoire religieuse du monde antique réside dans l’insuffisance des sources. Beaucoup de sites ont livré de nombreux documents bien souvent inexploitables pour une bonne compréhension des rites. Pompéi a fait partie de ces cités dont les premières découvertes ont été mal exploitées ou mal interprétées. Pendant longtemps, l’étude des objets est passée avant celle du contexte. Aujourd’hui les fouilles dans cette cité s’aident de différentes disciplines comme l’archéo‑zoologie et l’archéo-botanique pour dépasser le discours sur la religion et s’intéresser à la pratique religieuse tant sur le plan public que privé. Ainsi, l’A. s’intéresse autant aux traces matérielles qu’aux restes d’animaux et de végétaux, témoignages des sacrifices et des banquets qui les accompagnent.
Dans la troisième partie, l’A. s’attache, en quatre chapitres, à « la religion au quotidien » : religion privée au sein de la maison, religion sur le lieu de travail, dans les associations, et enfin, domaine des morts. Dans ce dernier chapitre sur « la religion et la mort », l’A. décrit, sans trop approfondir, différents aspects des funérailles attestés par les tombes pompéiennes. Or, les progrès les plus importants dans le domaine de l’archéologie du rite ont surtout concerné le domaine funéraire. Les techniques de fouilles et d’analyse ont bien progressé dans ce domaine et l’archéologie est à même de fournir une foule de renseignements sur les pratiques funéraires : nous pouvons regretter que W.V.A. n’ait pas consacré plus de pages à l’exposé détaillé des rites funéraires à partir des nécropoles pompéiennes qu’il connait bien.
Malgré quelques maladresses dans la démarche, cet ouvrage, très bien documenté, est une bonne synthèse sur la vie religieuse à Pompéi, notamment pour l’étude des pratiques publiques, car tous les aspects ont été évoqués plus ou moins longuement. Les hommes et les dieux étant intimement liés, en cernant plus précisément les activités religieuses dans cette cité, nous sommes à même de mieux appréhender le fonctionnement de la société pompéienne tant sur le plan public que sur le plan privé, ce dernier ayant été trop longtemps négligé. Cet ouvrage ouvre donc des perspectives nouvelles que certains chercheurs sauront exploiter avec profit.

Marie-Odile Charles-Laforge