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L’ouvrage d’A. Zambon est issu de sa thèse de doctorat, fruit du dépouillement minutieux et de l’exploitation de documents d’archives nombreux et souvent dispersés. L’auteur a déjà développé, sous la forme d’articles, certains aspects de l’activité du peintre-antiquaire Louis-François-Sébastien Fauvel (Clermont-en-Beauvais, 1753- Smyrne, 1838). Le présent livre donne une image complète de Fauvel et de l’extraordinaire diversité de son activité en Grèce, complétant les travaux de Ph.-E. Legrand (« biographe de Fauvel »), de Chr. Clairmont et de L. Beschi.

Le livre s’organise en cinq chapitres : Fauvel en son temps (chapitre I, p. 27-55) ; Explorations et identifications (chapitre II, p. 57-106) ; Dessins, cartes et relevés (chapitre III, p. 107-184) ; Fouilles et observation du sol (chapitre IV, p. 185-230) ; Descriptions et théorisations (chapitre V, p. 231-304). La préface est signée par A. Schnapp (p. 9-13).

Avant l’expédition de Morée (1829), aux résultats mitigés, et la création de l’Ecole française d’Athènes (1846), dont l’activité est, au début, politique et littéraire, Fauvel a été un homme de terrain, même si son travail archéologique n’a pas été reconnu par la France. Il fait figure de précurseur de l’archéologie en Grèce, « membre de l’école française de Constantinople » (p. 305), c’est-à-dire de l’équipe du comte de Choiseul-Gouffier, qui fit un voyage en Orient en 1776 et fut ambassadeur de France à la Sublime Porte de 1784 à 1793. Lors de son premier séjour en Grèce (1780-1782), Fauvel n’est que peintre et accompagnateur de l’architecte-ingénieur J. Foucherot. Toutefois, à partir de 1786, c’est seul qu’il travaille sur le terrain, multipliant les tâches (moulages, fouilles, cartographie, topographie, explorations) d’abord pour le compte de Choiseul-Gouffier jusqu’en 1793, puis, pour mener ses propres recherches, jusqu’à sa mort, en 1838. L’Antiquité était devenue la passion de toute sa vie.

Fauvel peut être considéré comme l’un des découvreurs de la Grèce, à la suite de Spon et Wheler, Fourmont, Stuart et Revett, Le Roy ou Chandler, à une époque où elle était encore relativement peu connue. Comme le note A. Schnapp, Fauvel est « le dernier des antiquaires… et le premier des archéologues » (p. 12-13), grâce à un séjour de plusieurs décennies en Grèce.

Son activité archéologique est passionnante et époustouflante de diversité, alors qu’il est surtout connu pour son « association » avec Choiseul-Gouffier qui dura de 1780 à 1782 et de 1784 à 1793 ; or Fauvel se consacra à l’Antiquité jusqu’à sa mort en 1838 : explorations et identifications de sites, dessins, cartes, relevés (topographie, géographie, architecture), moulages (pour la première fois en Grèce), maquettes et modèles d’architecture, plans-reliefs, fouilles et observations du sol ; il devint antiquaire, mouleur, « maquettiste », « topographe », « géographe » sur le tas et aussi vice-consul de France à Athènes, afin de pouvoir retourner en Grèce.

Mais Fauvel, c’est aussi une figure au destin tragique : « volontiers dénigré – mais aussi abondamment pillé » (p. 25) ; il l’écrivait lui-même : « chez M. de Choiseul, tout entre et rien ne sort » (p. 120). Il ne publia jamais le fruit de ses nombreuses recherches et ne connut pas de reconnaissance officielle. C’est aussi l’histoire d’une rencontre et d’occasions manquées entre un « archéologue autodidacte » et la science et le gouvernement français, pour lequel il souhaitait travailler en tant qu’« antiquaire ». Il eut l’idée, neuf ans avant l’expédition d’Égypte, d’un voyage en Égypte « au nom du roi ou du gouvernement ou de l’Académie des inscriptions » (p. 32), ou encore celle de réaliser des fouilles, pour le compte de la France, à Olympie, dont il fut le premier à découvrir le site et levé le plan (pl. II) ; il proposa aussi d’envoyer en France du marbre du mont Pentélique « pour faire copier par les jeunes sculpteurs français les moulages qu’il avait réalisés sur les œuvres de Phidias » et « faire revivre des chefs-d’œuvre que le tems va faire disparoitre, former des artistes et enrichir la République » (p. 151) ou encore de faire reconstruire à Paris les « beaux temples » d’Athènes ; le gouvernement français ne donna pas suite à ses différents projets. Après le déclenchement du conflit franco-turc en 1798, il passa près de trois ans en détention, entre Athènes et Constantinople. Il vendit alors certains de ses dessins (ce qui explique leur dispersion) et fit détruire certaines de ses maquettes, dont un précieux modèle de l’Acropole. Libéré à la fin de 1801, il rentre à Paris complètement ruiné ; il retournera à Athènes en 1803, mais en tant que vice-consul. S’il n’a pas de reconnaissance officielle, fin connaisseur d’Athènes, Fauvel cornaque les voyageurs de passage et forme aussi de jeunes Grecs, dont Kyriakos Pittakis (1798-1863), premier éphore des antiquités d’Athènes (1832). Après la révolution grecque de 1821, Fauvel quitte Athènes pour s’installer définitivement à Smyrne en 1823 ; il y vécut modestement et y mourut en 1838. Sa collection personnelle (antiquités, moulages, plans-reliefs et maquettes), laissée à Athènes, fut détruite en 1825 dans l’écroulement de sa maison.

Même si le commerce d’antiquités, qui le fit vivre, n’est pas abordé ici, A. Zambon le rappelle : « Fauvel fut aussi l’un des plus grands pilleurs de la Grèce » (p. 25). À son retour en Grèce en 1803, il tenta toutefois d’arrêter Lusieri, l’homme de main de Lord Elgin, en s’adressant à l’ambassadeur de France à Constantinople : les spoliations cessèrent en 1805 ; mais il était déjà trop tard. Fauvel essaya, « à titre d’indemnité » (p. 40), de s’emparer des marbres Elgin encore à Athènes, en vain ; ils aboutirent tous à Londres.

L’objectif d’A. Zambon est de « comprendre quelle fut la contribution de Fauvel à l’évolution progressive de la démarche archéologique qui s’esquisse en Grèce aux confins des xviiie et xixe siècles dans les recherches de terrain ainsi que dans l’étude des antiquités » (p. 26).

À une époque où, suivant les mêmes itinéraires connus, on se fondait sur les écrits des auteurs anciens (et des voyageurs modernes) auxquels on voulait, coûte que coûte, faire correspondre les vestiges, Fauvel se montre, à force d’expérience, audacieux et productif, sortant des sentiers battus, en dépit de quelques égarements, en partie en raison de sa méconnaissance du grec ancien.

Pour Fauvel, précurseur, l’enquête sur le terrain a toujours la priorité sur les textes ; il est attentif à chaque indice. Lorsqu’il se trompait, « il faisait toujours porter la faute aux autres, de préférence à Pausanias » (p. 76). Il corrige les auteurs anciens : « Pausanias se trompe souvent » (p. 80), « Pausanias n’avoit point mesuré, il parloit à peu près » et « Tucidide dit le sud, mais il n’avait pas la boussole à la main » (p. 89). La méthode mise en œuvre par Fauvel « fait de lui un digne précurseur de la topographie historique moderne » (p. 106).

Le livre d’Alessia Zambon est précieux et utile ; il présente, pour la première fois, Fauvel et son apport dans sa globalité et diversité, alors que, jusqu’ici, le peintre était surtout sollicité pour éclairer tel point de l’histoire d’un site, d’un monument ou d’un objet. Fauvel, formé à l’Académie royale de peinture et de sculpture, s’est transformé « petit à petit en antiquaire, sinon en véritable archéologue » (p. 107). Selon l’aveu même de Fauvel, fouiller était la « seule activité qui lui procurait de “l’agrément” » (p. 33) ; et, à son époque, il était considéré comme un « expert en fouilles » (p. 229). À travers Fauvel, Alessia Zambon nous fait découvrir les origines de l’archéologie (française) en Grèce, rendant sa juste place au peintre-antiquaire.

Raphaël Jacob

Mis en ligne le 25 juillet 2017